Coupe du monde : "On peut critiquer le Qatar sans être raciste"

La rédaction - - Scandales à retardement - 128 commentaires


Qui a bien pu prendre au sérieux Emmanuel Macron lorsqu'il a affirmé "il ne faut pas politiser le sport", esquivant les questions des journalistes sur les polémiques qui entourent l'organisation par le Qatar de la Coupe du monde 2022 ? Quand on sait tout le poids qu'a mis le gouvernement français pour obtenir l'organisation des JO 2024... Il n'y a rien de plus politique qu'une Coupe du monde de football, et ce bien avant que l'émirat ait obtenu son organisation en 2010. C'est ce que nous montrent les médias depuis plusieurs semaines : droits sociaux des travailleurs, libertés individuelles des minorités sexuelles sans oublier les affaires qui entourent la Fifa sur les conditions d'attribution de la Coupe du monde au Qatar en 2010. Dans toute cette couverture médiatique, il y a celles et ceux qui prennent la parole pour se faire entendre ou pour taire les critiques, et puis il y a les silences qui en disent peut-être tout autant. Pour nous aider à y voir plus clair, avec nous en plateau, trois invités : la journaliste sportive Anne-Laure Bonnet, le journaliste d'investigation Pierre-Stéphane Fort, et la chargée de plaidoyer chez Amnesty France, Lola Schulmann

Au Qatar, "c'est du trafic d'êtres humains, c'est de l'esclavage"

Pierre-Stéphane Fort s'est rendu au Qatar pour Complément d'enquête. Son travail, diffusé sur France 2 le 13 octobre 2022, donne à voir les conditions de survie exécrables des travailleurs migrants à Doha : logements insalubres et exigus, semaines de travail à plus de 50 ou 60 heures, absence de repos, passeports confisqués, travail non payé… "J'ai rencontré des travailleurs qui parlent d'esclavagisme, raconte-t-il. […] Des personnes qui s'endettent pour venir au Qatar en payant les agences de recrutement. Quand ils arrivent, ils ne peuvent plus rien dire, s'ils se plaignent, ils sont expulsés et perdent leur mise de départ. C'est un piège. C'est du trafic d'êtres humains , oui, c'est de l'esclavage moderne et c'est eux qui le disent."

"Le discours de Noël Le Graët n'est pas à la hauteur de ce qu'on attend d'une fédération française"

De retour de Doha, Pierre-Stéphane Fort a montré plusieurs images de son reportage à Noël Le Graët, président de la Fédération française de football (FFF), notamment celles sur les conditions de survie inhumaines à Doha des agents de sécurité de l'hôtel des Bleus. C'est avec leur employeur que la FFF a passé contrat. Le patron de la fédération a balayé d'un revers de la main les accusations. "Ce n'est pas insoluble, c'est un coup de peinture, réagit Le Graët. C'est une image que vous montrez avec deux réchauds à gaz qui sont peut-être à changer". Pour Anne-Laure Bonnet, "ce discours n'est pas à la hauteur de ce qu'on attend d'une Fédération française, ce n'est pas la hauteur ce qu'on attend du football qui est un domaine de l'économie qui brasse énormément d'argent, la fédération a les moyens de faire une enquête, d'avoir des prestataires payés correctement et qui vivent dans des conditions décentes. On n'est pas à la hauteur".

"Gianni Infantino s'est installé au Qatar, il n'a pas la possibilité de critiquer le pays"

Samedi 19 novembre 2022, la veille du démarrage de la Coupe du monde, Gianni Infantino a pris la parole pour défendre le Qatar critiqué de toutes parts. Au sujet du respect des droits des minorités sexuelles, le président de la Fifa a répondu que "tout le monde est bienvenu" au Qatar. "Vous allez me dire : «oui mais il y a des lois qui interdisent ça», «vous pouvez aller en prison ou je ne sais pas quoi». Oui, ces législations existent dans beaucoup de pays." Anne-Laure Bonnet rappelle que Gianni Infantino s'est installé au Qatar. "C'est la première fois qu'un président de la Fifa s'installe dans le pays qui va accueillir la Coupe du monde.  Il a dit que c'était pour vérifier l'état d'avancée des travaux. Quand il s'est installé, les stades étaient déjà construits… Ses enfants sont à l'école au Qatar. Il s'est mis dans une position, par choix, où il n'a pas la possibilité de critiquer le Qatar. Il est président de la Fifa et parle au nom de tous ceux qui vivent du football et aiment le football."

Le Qatar est-il critiqué par "une forme de racisme latent" ?

Le Qatar serait-il critiqué parce qu'il s'agit d'un pays musulman, victime d'une forme de racisme latent ? "Quand on va sur le terrain et que je filme les cafards dans lesquels vivent ces travailleurs migrants, c'est la réalité. Ce n'est pas raciste que de le dire", répond Pierre-Stéphane Fort. Ne pas s'être suffisamment emparé de la maltraitance des LGBT+ en Russie "est une erreur de notre part", reconnaît Anne-Laure Bonnet, mais "ça ne doit pas être un argument pour le Qatar". Et "il va falloir, par honnêteté intellectuelle, être très attentif à ce qu'il se passe lors de la prochaine Coupe du monde", par exemple au sujet de l'avortement ou des conséquences climatiques d'un tournoi qui se déroulera entre trois pays et des distances très importantes entre les stades, prévient-elle.

Pour aller plus loin

- "Esclaves de la Coupe du Monde au Qatar" : l'enquête du Monde diplomatique de juin 2016 qui, déjà, donnait à comprendre la brutalité à l'égard des travailleurs étrangers au Qatar.
- Une enquête a déclenché une énorme couverture médiatique de la question des conditions de travail et de survie des ouvriers des chantiers de la coupe du monde au Qatar : c'est celle du Guardian, publiée le 23 février 2021. De son côté, l'AFP a remis en contexte dans un récent article de sa rubrique AFP Factuel le chiffre des 6 500 morts donné par le Guardian.
La pétition d'Amnesty France pour pousser la Fédération française de football à agir face aux violations des droits des travailleurs migrants au Qatar.
- Lire aussi cette enquête de l'Humanité sur la financiarisation du football mondial.

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