Coffin : pour beaucoup de journalistes, homosexuel "c'est un gros mot"

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Un nouvel épouvantail médiatique est apparu cette semaine sur les chaînes d'info. Elle se nomme Alice Coffin, c'est une élue Europe écologie-Les Verts au Conseil de Paris. Elle est militante LGBT de longue date, ancienne journaliste spécialiste des médias au journal 20 minutes, et elle vient de publier Le génie lesbien (Grasset). A en croire les plateaux télé, elle s'y propose "d'éliminer les hommes". Que dit la violence de cette réaction médiatique ? C'est l'une des questions que l'on pose à Alice Coffin, notre invitée unique.

L'émission commence avec Loris Guémart, qui vient présenter son enquête sur ce mystérieux club de Jiu-Jitsu brésilien de Seine-et-Marne surveillé par les services de renseignement pour "communautarisme", et infiltré par Le Parisien. Il détaille comment le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a donné une large publicité à cette "infiltration", puis comment le club a répondu, notamment via le site Islamotion. Et comment Le Parisien est par la suite resté muet, ne souhaitant dialoguer ni avec les dirigeants du club de Seine-et-Marne, ni avec Arrêt sur images

"Éliminer les hommes" ?

On en vient ensuite à l'émission proprement dite, avec Alice Coffin, à distance. Ceux de nos abonnés qui n'apprécient guère les émissions masquées peuvent se réjouir : Daniel Schneidermann étant seul en plateau, il peut libérer bouche et nez. Pour s'échauffer, et bien savoir de quoi on parle, petit montage des débats autour du traitement du livre de Coffin sur les chaînes. Sur les plateaux, la cause est entendue : l'autrice rejette les hommes, signe de séparatisme. Au fond, explique la ministre Agnès Pannier-Runacher, sa logique est haineuse, raciste même, comme celle d'un Zemmour. Coffin explique qu'elle ne s'attendait pas être accueillie par des "hourras", mais s'avoue surprise par la violence des propos envers elle : "ça révèle aussi la façon dont les journalistes ne font pas leur travail. La moindre des choses, c'est de lire un ouvrage, si on veut le dézinguer"... Dans cette fameuse phrase, Coffin dit qu'elle tente d'"éliminer" les hommes de son imaginaire, de ne plus lire leurs livres ni regarder leurs films. Pourquoi ce choix ? "Pendant des siècles, quelles voix on n'a pas entendu, quels livres on n'a pas lu ?" renverse-t-elle. D'autre part "l'art a été très fortement façonné par des standards masculins"

L'utilisation de termes comme "éliminer" est-elle une volonté de provocation, demande Daniel Schneidermann, pour rendre plus visible son combat ? Pas vraiment, répond Alice Coffin, qui estime simplement qu'une guerre est menée contre les femmes, et que ses mots ne font que mettre cela en lumière : "ce langage est performatif. Il est là parce qu'il faut mettre noir sur blanc ce qui se passe. Et ça, c'est jugé comme une provocation !"

L'affaire christophe Girard

Nous repassons un extrait d'une émission sur la chaîne RT dans laquelle Coffin expliquait, à propos du débat sur la PMA, que vivre sans mari l'expose à "ne pas être violée, ne pas être tuée, ne pas être tabassée, et ça évite que mes enfants le soient aussi". Un extrait datant de 2018, mais qui est réapparu cet été pour attaquer la militante. "J'assume complètement", commente Coffin, qui rappelle par exemple que les incestes sont commis à 98% par des hommes. Si la vidéo de RT a été exhumée cet été, c'est à la faveur de l'"affaire Christophe Girard". Alors que le New-York Times avait révélé en février que Girard avait réglé des notes d'hôtel à l'écrivain pédophile Gabriel Matzneff (par le compte de son employeur d'alors, LVMH), il a été renommé adjoint à la culture par la maire de Paris Anne Hidalgo. Alice Coffin, également élue sur EELV, alliée  de Hidalgo, a fortement contesté cette nomination. "Je ne pensais pas qu'il allait être nommé adjoint, j'espérais qu'ils allaient le virer de leur liste", explique-t-elle, ajoutant qu'elle avait fait savoir sa position à Anne Hidalgo dès février.  Après une manifestation devant la mairie de Paris, à laquelle participe Alice Coffin, Girard démissionne finalement de son poste d'adjoint. 

Le lendemain, Girard est applaudi au Conseil de Paris après un "salut républicain" de la part du préfet de police Didier Lallemant. "Il faut s'attendre à tout en matière de sexisme", commente Coffin. Sur le moment, la militante, présente dans la salle, réagit en criant "la honte !" Par la suite, déplore Coffin, c'est à Girard, et non aux militantes féministes, que les médias ont donné la parole. "Les personnes qui lancent des alertes, les personnes qui sont du côté militant, des opprimés, ne sont pas écoutées, ne sont pas soutenues." Si Hidalgo a accepté la démission de Girard, Coffin et sa collègue élue EELV Raphaëlle Rémy-Leleu ont été exclues de la majorité municipale suite au coup d'éclat du Conseil de Paris. "Je suis très embêtée, avoue Coffin, pas seulement par rapport à Anne Hidalgo, par rapport aussi à beaucoup d'autres propos tenus ces dernières semaines pour m'attaquer moi ou ce que l'on nomme la nouvelle génération de féministes. Parce que j'ai pour principe et stratégie de survie de ne pas m'attaquer à une femme en responsabilité publique, parce que j'estime qu'il y aura toujours d'autres gens que moi pour le faire." Et la militante lesbienne de raconter une expérience précise : elle dit avoir l'habitude de pointer, sur Twitter, les réunions publiques ne comportant que des hommes. Un jour, elle s'indigne d'une photo prise à l'Hôtel de Ville de Paris. Anne Hidalgo recevait des responsables d'associations LGBT, tous des hommes. Coffin s'aperçoit alors que son tweet suscite beaucoup plus de réactions que d'habitude, selon elle parce que cette fois c'était une femme, Hidalgo, qui était accusée d'invisibiliser les femmes. "En fait, j'ai ouvert la porte à un déferlement d'ordre sexiste", commente Coffin. 

"Homosexuel", un mot tabou ?

Dans la dernière partie de l'émission, nous interrogeons avec notre invitée la difficulté de beaucoup de journalistes à prononcer ou écrire le mot "homosexuel". Avec un exemple donné dans le livre d'Alice Coffin : Laurent Delahousse interviewe le chanteur Eddy de Pretto, et use de plusieurs circonvolutions pour ne pas parler "frontalement" d'homosexualité. Pour beaucoup de journalistes, "c'est un gros mot", décrypte Coffin. Ce serait pour eux "une faute journalistique de prononcer ce mot". Autre exemple récent pointé par notre invitée, un article de l'Express dans lequel il est question des rumeurs, pendant la dernière campagne présidentielle, selon lesquelles Emmanuel Macron aurait été gay. "Sauf qu'à aucun moment dans leur article ils ne sont capables de dire le mot « homosexualité ». Du coup on ne comprend rien." Ce phénomène, Coffin dit en avoir elle-même souffert lorsqu'elle était journaliste à 20 minutes. "Je me souviens par exemple qu'on m'a caviardé une question à Olivier Minne sur son coming out". Par ailleurs, son statut de militante lesbienne revendiquée poussait son journal à lui interdire de traiter ces sujets, assure-t-elle. "On a besoin d'une diversité beaucoup plus grande de nos corps de journalistes, de nos vécus de journalistes", revendique-t-elle aujourd'hui. 

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