[Avent 2021] Présidentielle 2017 : le "20 Heures" à l'épreuve de la com'

La rédaction - - Médias traditionnels - 309 commentaires

23e chocolat de notre Avent 2021


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C'est une émission de 2019 sur la campagne présidentielle de 2017. Et c'est une émission mémorable... qui faisait déjà partie de notre Avent 2020 (avouons). Une journaliste de France 2, Astrid Mezmorian, révèle, en partie volontairement, en partie à son corps défendant, les secrets de fabrication d'un "20 Heures" en temps de présidentielle. C'est à voir !

Retour sur la campagne de 2017, ce 12 avril 2019. Sur notre plateau : Audrey Gordon, réalisatrice du film Première campagne ; Astrid Mezmorian, journaliste au service politique de France 2 ; et Gilles Perret, réalisateur de J'veux du soleil. Et en bonus, vous trouverez à la fin du résumé l'après-débat vivace entre Astrid Mezmorian et Gilles Perret sur la fabrique de l'information.

Hors d’haleine, une journaliste du 20 Heures de France 2 arrive dans un meeting électoral d’Emmanuel Macron, en 2017. Et interpelle le public qui patiente : "Y a-t-il des gens ici qui voulaient voter Hamon, et qui vont voter Macron ?" Elle trouvera quelques "clients" avec difficulté. La vision de cette scène, dans un documentaire, nous a donné envie d’inviter cette journaliste, Astrid Mezmorian. Pour être francs, nous doutions qu’elle accepte. Elle a accepté, ce qui nous a valu un des plus mémorables Arrêts sur images de toute notre histoire, sur la fabrication d'un 20 Heures, sur les consignes données aux reporters de terrain par la rédaction en chef (il s’agissait ici "d’illustrer" par du "vécu" le décrochage de Benoît Hamon), et la marge de manœuvre, nulle, de ces reporters de terrain. Qu’Astrid Mezmorian, qui s’est livrée en toute bonne foi, soit encore remerciée de sa contribution à la pédagogie des médias.

Se plonger dans une campagne à travers le regard d'une journaliste

Les documentaires sur des campagnes électorales constituent un genre à part entière. Mais des documentaires suivant, non pas un candidat ou un parti, mais une journaliste, sont beaucoup plus rares. C'est ce qui fait tout le prix de Première campagne (sortie en salles le 17 avril), qui suit une journaliste de France 2 tout au long de la campagne 2017 d'Emmanuel Macron. Hasard du calendrier : Voici quelques jours sortait J'veux du soleil, road trip de François Ruffin en pays "Gilet jaune". 

Astrid Mezmorian arrive au service politique de France 2, le 1er septembre 2016, alors qu'Emmanuel Macron vient de démissionner de son poste de ministre. Première campagne raconte les deux derniers mois de la campagne, suivis par Mezmorian. "L'idée est venue parce qu'Astrid me racontait régulièrement ses récits de campagne", raconte Audrey Gordon. "Je me suis plongée dans cette élection à travers son regard à elle, la manière dont elle le vivait". Pourquoi la suivre, elle ? "Une des choses qui me touchaient le plus chez elle, c'était son authenticité en toute circonstance, le fait qu'elle n'ait aucune fascination pour le pouvoir".

"Je pense que ce qui me définit plus, c'est un souci de grande liberté, d’irrévérence, de s'amuser du côté factice, artificiel" d'une campagne politique, dit Mezmorian. Le documentaire la montre d'ailleurs refuser de tutoyer la chargée de com' de l'équipe Sibeth N'Diaye, ou encore se retenir de danser à la soirée de victoire de Macron. "Certains communicants de Macron me téléphonaient en me tutoyant et moi je répondais vous". "Il faut résister", admet Mezmorian. La journaliste pointe les questions déontologiques que posent la proximité avec les personnes politiques et leurs communicants. Question qui se pose depuis longtemps, note Daniel Schneidermann, rappelant le souvenir d'une journaliste de BFM, Neila Latrous, aperçue en train de danser à la soirée organisée par le FN au soir du 1er tour de la présidentielle de 2017.

"Les sujets sont fabriqués à Paris et on envoie quelqu'un sur le terrain pour assembler les morceaux"

On regarde un extrait du documentaire montrant la sortie d'Emmanuel et Brigitte Macron, à la station de ski de La Mongie en avril 2017 - et l'extrait de JT correspondant au 20 heures de France 2. Un sujet de télé apparemment plus dupe que ce qu'en dit Mezmorian, qui qualifie la sortie des Macron de "sketch". Pas si dupe pourtant, pour la journaliste, qui défend on collègue Jeff Wittenberg. "Il y a beaucoup de sarcasme et de distance dans le ton. Je trouve que l'image parle d'elle-même". Gilles Perret n'est pas d'accord. "Je n'ai absolument pas perçu l'ironie et le sarcasme, je crois que cette perception est propre au petit milieu du journalisme". Le réalisateur voit dans la différence entre la distance affichée par Mezmorian, et le sujet diffusé, l'illustration du "basculement" dans la fabrication de l'information, "où les sujets sont fabriqués à Paris et on envoie quelqu'un sur le terrain pour assembler ensuite des petits morceaux". "Je ne suis pas dépossédée de mon travail", rétorque la journaliste de France 2. Mais cela a pu arriver, admet-elle. "C'est un métier de frustrations, parce qu'il faut faire court, enlever toute l'épaisseur de votre ressenti par moments". Pour Mezmorian, le spectateur est "libre d'interpréter" les images comme il le souhaite.

Autre comparaison : lors d'un meeting de Macron à Bordeaux, Mezmorian doit trouver de (très) rares hamonistes tentés par Macron, pour qu'ils apparaissent dans un reportage du JT de France 2 le 9 mars 2017. "Sur ce que ça dit du rythme totalement fou du quotidien des journalistes pour le 20 heures, ça m'intéressait", explique la réalisatrice. "Je voulais montrer que même quand les choses sont absurdes, il y a quand même des humains qui font du mieux qu'ils peuvent". Mais le reportage diffusé sur les "hamonistes qui doutent" est-il simplement absurde, ou manipulatoire ? "Une campagne au jour le jour, il y a une injonction au renouvellement", rétorque la journaliste de France 2. "Évidemment que par moments, il y a des problématisations moins pertinentes que d'autres", admet Mezmorian, qui explique avoir fait savoir qu'elle ne trouvait pas d'hamonistes et que la question était peut-être "absurde". Et admet que dans ce cas : "Ma liberté était proche du néant".

"vous auriez voulu que les journalistes subissent la thématique du candidat ?"

On s'arrête sur un extrait du documentaire L'Insoumis (2018) de Gilles Perret, dans lequel il suit la campagne de Jean-Luc Mélenchon en 2017. En visite dans une ferme biologique de l'Oise, le candidat est interrogé sur ses dissensions avec Benoît Hamon. Perret déplore que les journalistes ne veuillent pas évoquer le fond de son programme lors de cette sortie. Mezmorian n'est pas d'accord : "Vous auriez voulu que les journalistes subissent la thématique imposée par le candidat, qu'on parle que d'agriculture, et qu'à aucun moment on soulève notre question en toute indépendance ?" Perret répond que selon lui, le travail sur le fond des programmes est marqué par "la vacuité la plus totale".

Première campagne, un film sur un "naufrage journalistique de l'analyse politique", comme l'analyse Gilles Perret ? "Je ne vois pas les choses de manière aussi binaire. C'est ni un film à charge sur le journalisme, ni une apologie du journalisme télé", répond Audrey Gordon.

On termine par le documentaire J'veux du soleil (2019), "road movie" de François Ruffin et Gilles Perret présentant des témoignages de Gilets jaunes. "On voulait comprendre pourquoi ces gens qui étaient invisibles et qui étaient chez eux avec leur honte privée, sont sortis tout d'un coup sur les rond-points et se sont rendus hyper-visibles avec des gilets jaunes fluo", explique le réalisateur. Mezmorian déplore de son côté "un film qui sert à faire l'apologie de M. Ruffin". "On ne cache notre parti pris", rétorque Perret.

Après l'émission, le débat s'est poursuivi autour de la table entre Astrid Mezmorian et Gilles Perret. Avec l'accord des deux, nous vous offrons cette séquence en bonus :

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