[Avent 2021] "Après les législatives, plus personne ne parlera du Front National"
La rédaction - - 733 commentairesAvent #11. Triomphe de Le Pen ? Todd et Philippot (FN) débattent
La campagne du second tour de cette présidentielle 2012 tourne autour du score exceptionnel de Marine Le Pen dans le monde ouvrier, mais aussi dans le monde rural, ce qui serait une nouveauté. La candidate du FN est-elle la représentante de la France des invisibles ? C'est l'enseignement tiré de cette élection par la plupart des commentateurs de télévision, radio et presse écrite. Est-ce que ces analyses résistent à l'observation attentive des chiffres et des faits ? Nous allons le voir avec nos deux invités de ce 27 avril 2012 : Emmanuel Todd, historien-démographe bien connu des @sinautes (sur notre plateau, il a déjà fait face à Mélenchon et analysé l'élection d'Obama) et Florian Philippot, directeur de campagne de Marine Le Pen au premier tour.
L'émission est présentée par Daniel Schneidermann, préparée par Laure Daussy et Marion Mousseau et déco-réalisée par Mireille Campourcy et François Rose.
Dimanche 22 avril au soir, tous les commentateurs ont souligné le très bon score de Marine Le Pen, qui a recueilli 17,9 % des suffrages et dépasse ainsi le score de Jean-Marie Le Pen en 2002. En valeur absolue, elle remporte 6,4 millions de voix, soit environ un million de plus que son père au deuxième tour en 2002. "C'est un score absolument historique et je crois qu'on est en train de s'en rendre compte dans cet entre-deux tours", estime Florian Philippot sur notre plateau.
Todd, qui fait de la sociologie électorale depuis 1981, préfère plutôt relativiser ce score. "Il y a une base à 10 %, non réductible, qui est là depuis le début et il y a des poussées de fièvre" de temps en temps, comme lors des législatives de 1988, assure-t-il. Certes, en chiffres absolus, Marine Le Pen a gagné un million de voix supplémentaires par rapport à 2002, mais compte tenu du taux d'abstention, cela signifie que les autres en ont gagné encore plus par rapport à l'élection précédente. Cette hausse de Le Pen serait "une fiction", selon Todd, pour qui seul le pourcentage compte. Le démographe assure qu'"il est normal que le vote Front National soit à un niveau élevé compte tenu de l'état de crise absolument insensé du monde occidental". Mais surtout, pendant ce quinquennat, "le Front National a eu une sorte d'attaché de presse avec le Président de la République" qui n'a cessé de mettre en avant les thématiques identitaires.
Florian Philippot conteste cette analyse, et notamment le fait que le vote Le Pen serait un vote de crise. "C'est assez méprisant, parce que ça voudrait dire que les électeurs de Marine Le Pen ne sont pas capables de voter par conviction", s'agace le directeur de campagne, qui considère que Todd, en parlant ainsi, ne fait que reprendre "les éléments de langage de l'UMP". En outre, il assure qu'en meeting, Le Pen a fait essentiellement sa campagne sur l'économie, et non sur les thèmes identitaires.
Marine Le Pen est-elle la candidate de la ruralité ? Pendant la campagne, la candidate du FN a mis en scène sa recherche de l'électorat rural en se rendant à Brachay, un petit village de la Haute-Marne de 68 habitants. Une séquence qu'elle a commentée sur Canal+ en expliquant qu'elle ne s'attendait pas du tout à l'accueil favorable qu'elle a reçu : près de 400 personnes l'attendaient. Philippot assure que ce n'était pas prévu, Marine Le Pen devait simplement rencontrer un exploitant agricole qui est également maire du village. Les gens venus l'applaudir seraient venus… "par le bouche à oreille", soutient Philippot. Sauf que le village avait voté très majoritairement à l'extrême droite en 2007. Un terme qui insupporte Philippot : "On va arrêter de dire extrême droite car c'est extrêmement méprisant pour les 6,4 millions d'électeurs, car extrême droite, c'est antiparlementarisme, autoritaire, dictatorial, ça n'a rien à voir avec le vote Marine Le Pen, qui est un vote patriote", s'emporte-t-il. Selon lui, ce déplacement dans ce village n'était pas mis en scène : "Vous êtes contaminés par les déplacements de Sarkozy qui fait venir des ouvriers de moins d'un mètre soixante-cinq", ironise-t-il.
De son côté, Todd conteste l'image de candidate de la ruralité, car historiquement, parmi "les bastions régionaux du FN", on trouve notamment "les zones dévastées de la vieille industrie de l'Est du bassin parisien". Ce vote FN se serait simplement étendu à la Haute-Marne, qui représente "une fausse ruralité, car les ouvriers ont été expulsés des centres urbains". Selon Todd, l'élément le plus important est l'implantation du Front National dans la classe ouvrière. Un phénomène structurel qui n'a pas bougé : 30 % du monde ouvrier vote FN. C'est ce qui fait dire à Todd qu'on est "complètement à contretemps quand on s'inquiète de la poussée du Front National", car le PS est en train de retrouver cet électorat ouvrier : quand le PS faisait 12 % des voix chez les ouvriers en 2002, il est remonté à 20 % avec Ségolène Royal et presque 30 % avec François Hollande.
Parmi les enseignements du scrutin de 2012, on découvre une nouvelle cartographie du vote Le Pen : les électeurs du FN résideraient principalement dans les zones périurbaines du Nord et de l'Est de la France. Dans l'Ouest ou le Sud, ils vivraient dans les zones encore plus éloignées, que le géographe Hervé Le Bras (auteur de cartes sur ce sujet, publiées dans le Monde cette semaine), nomme "hypo-urbaines". A l'inverse, les villes "résistent au Front National", expliquait le Monde. Philippot assure que cette cartographie est logique, d'un point de vue idéologique, puisque Marine Le Pen s'adresse avant tout à ceux qui ne bénéficient pas de la mondialisation. Contrairement "au boulevard St-Germain", ironise-t-il.
Pour Todd, pas de progression particulière du FN : on a déjà vu ce genre de "fièvre" dans les zones reculées, assure-t-il. Et par la suite, "il y a toujours une rétractation à 10%" de l'électorat. Il souligne un élément à prendre en compte pour pondérer l'influence du FN : avec la crise, toutes les classes sociales ont commencé à souffrir. "C'est une nouvelle phase de l'histoire, l'ensemble des classes moyennes entrent en souffrance", affirme-t-il. Il pointe aussi une contradiction inhérente au FN, selon lui, le fait de désigner "deux adversaires" : "Les musulmans, qui font eux-mêmes partie des catégories opprimées de la société française, et en même temps, l'establishment."
Philippot glisse que Todd n'est pas très éloigné des thèses de Marine Le Pen concernant l'économie. Todd aurait même fait l'éloge du programme économique du FN, en déclarant qu'elle était la seule à tenir "un discours raisonnable". "On peut avoir l'impression d'une certaine similarité d'analyse sur les questions éco entre une partie du discours le FN et moi", convient Todd. C'est vrai que je pense que l'euro était une mauvaise idée, qu'on ne s'en sortira pas sans le remettre en question". Mais, ajoute-t-il, "le FN n'est pas crédible sur ces questions-là car il n'est pas dans une véritable logique d'égalité."
En février, Marine Le Pen s'était rendue le long d'une nationale dans l'Essonne, devant le premier radar automatique mis en place par Sarkozy en 2003. Son objectif étant de remettre en cause la politique des radars et le permis à point. Est-ce de la démagogie ou bien épouse-t-elle les revendication des petites gens ? "C'est de la politique à son plus petit niveau", déplore Todd. "On répond à un problème important, qui concerne la vie des gens", rétorque Philippot, critiquant au passage le vocabulaire employé pour parler de Le Pen dans les médias : elle "drague les petites gens", les "exploite", alors que les autres candidats "seraient à leur chevet", peste-t-il.
"Dans dix jours on ne parlera plus de vous", lâche Todd à Philippot. Vraiment ? Et les législatives ? "Après les législatives, on ne parlera plus de vous", rectifie le démographe. L'explosion de l'UMP envisagée par plusieurs commentateurs politiques, Todd "n'y croit pas du tout". Il ajoute : "On va rentrer dans un monde sans Sarkozy, un atout de moins pour les thématiques identitaires. L'UMP va se recentrer et redevenir une droite républicaine normale, prophétise-t-il. On est dans un pays raisonnable."
Cette semaine, Maja Neskovic est allée @ux sources d'Elisabeth Lévy. Quant à Didier Porte, il a bien noté que Nicolas Sarkozy déclarait partout qu'il seul contre tous les médias ? Il l'a pris au mot, et s'est plongé dans les programmes de la chaîne qui correspond le plus à la terrible caste des bobos, dont le candidat UMP est l'ennemi déclaré, Canal+.
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