Affaire Palmade : "L'émotion est devenue du voyeurisme"

La rédaction - - Médias traditionnels - Déontologie - 51 commentaires


Depuis vendredi 10 février 2023 et l'annonce de l'accident causé par Pierre Palmade en région parisienne, il n'y a pas eu un jour sans que des avocats, des psychologues, des gendarmes, ne viennent nourrir le feuilleton médiatique de ce qui est aujourd'hui appelé "L'affaire Palmade". Sans parler du voisin, du cousin d'une des victimes, d'un amant de l'humoriste, voire même du maçon de la maison de Pierre Palmade. Tous les médias s'y sont engouffrés, chaines d'information en continu comme chaînes généralistes – y compris le service public. Pour décrypter cette overdose médiatique, trois invité·es : Thomas Vampouille, directeur de la rédaction de Têtu, Julia Courvoisier, avocate pénaliste et Lucie Jouvet Legrand, socio-anthropologue à l'université de Besançon.

"Tout ne peut pas se faire en «fast-justice» comme on a aujourd'hui de la «fast-information»"

La palme de la sur-couverture médiatique revient à BFMTV, qui a consacré ces derniers jours la très grande partie de son antenne à cette affaire. Nous avons regardé la chaîne vendredi 17 janvier, jour de la décision du juge après la garde à vue de l’humoriste à l'hôpital. Toute cette journée, BFMTV a été en boucle, suivant l’affaire comme un film… mais avec forcément des moments de flottement. Julia Courvoisier insiste pour souligner que "le temps médiatique n'est absolument pas celui de la justice", et explique : "On vit aujourd'hui dans deux mondes complètement différents qui s'éloignent de plus en plus et qui ne se comprennent plus. En matière de justice, on a besoin de temps. Nous, on sait attendre des décisions et on sait attendre dans la sérénité. C'est notre métier d'attendre et c'est notre métier de comprendre que tout ne peut pas se faire en «fast-justice» comme on a aujourd'hui de la «fast-information»."

"Les avocats doivent savoir dire non aux invitations en plateau"

Pourtant, depuis vendredi 10 février, un nombre incalculable d'avocats font le tour des plateaux et des duplex des chaînes d'information en continu pour commenter l'affaire Palmade. Voire même, et là est le plus grave, affirmer ce qu'il va arriver à l'humoriste d'un point de vue judiciaire, devançant même les décisions des magistrats, alors même que ces professionnels n'ont pas accès au dossier. C'est ce qui s'est produit avec l'avocate Cindy Samama sur CNews. Présentée comme spécialiste du droit routier, elle affirme en direct, dans la matinale de Romain Desarbres le 13 février 2023, que Pierre Palmade "va avoir une détention provisoire du fait du trouble à l'ordre public". "J'ai mal au cœur parce que tout ce que dit cette consœur est faux […] Et c'est pour ça que c'est important que les avocats aillent sur les plateaux télé, des avocats qui doivent savoir de quoi ils vont parler et qui doivent savoir dire non. On ne peut pas intervenir sur un plateau télé sur des sujets qu'on ne maîtrise pas. Notre parole est extrêmement vue et les gens pensent que notre parole est forcément vraie. Quand vous avez une avocate qui dit en direct sur un média que c'est évident que Pierre Palmade va être en détention provisoire et que derrière il n'y a pas de détention provisoire, comment va prendre le téléspectateur qui ne connait pas ? Il va dire comme on l'a entendu souvent : «C'est insupportable, la justice est laxiste…»"

Aller ou ne pas aller sur les plateaux télé ? 

Accepter les invitations au risque de rajouter de la confusion, même en ayant des propos sérieux à tenir, ou refuser de s'y rendre pour ne pas participer au cirque médiatique ? Tel est le dilemme des invités et celui qui s'est présenté à Thomas Vampouille, directeur de la rédaction du magazine Têtu. Il avait décidé, au moins au début de la couverture médiatique, d'aller sur le plateau de BFMTV pour expliquer ce qu'est la pratique du chemsex, une sexualité sous l'effet de stupéfiants attribuée à Pierre Palmade. "Sur une heure, sur la deuxième invitation, j'ai pu parler deux ou trois minutes. Mais, en sortant de cette émission, j'ai décidé que […] ça ne sert plus à rien de continuer. Donc, j'ai refusé les invitations suivantes de BFM. Je n'ai rien à dire sur les faits divers. En tant que directeur de Têtu, ce qui m'intéresse, c'est la prévention et la réduction des risques sur la prise de drogue et le chemsex. Il y a une responsabilité qui est partagée, individuellement des invités à décider où on va, quand on y va et sur quelle émission, et une responsabilité de la chaîne et des médias qui est de dire : «est ce qu'on est obligé d'ouvrir tous les robinets en même temps ?»"

Pour aller plus loin

- "Affaire Palmade : des médias multiplient raccourcis sur le chelmex et biais homophobes",Mediapart.
"Peugeot 3008, D372, Seine-et-Marne, l'affaire Palmade est-il un fait divers de la France normale ?", analyse de Jérémie Peltier, directeur général de la Fondation Jean Jaurès dans Marianne.
- "Exclusivité BFMTV, vivez l'affaire Palmade au plus près du néant", par Samuel Gontier dans Télérama.
- Notre analyse publiée dans les premiers jours de l'emballement médiatique autour de l'accident de Palmade.

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