Adama Traoré, dans le temps imparti des radios

Daniel Schneidermann - - (In)visibilités - Le matinaute - 91 commentaires

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Nouvelles échauffourées à Beaumont-sur-Oise, un bus et six voitures incendiées, annoncent les radios du matin.

Avec un professionnalisme à saluer, les radios du matin donnent les raisons de cette nouvelle "flambée de violences" : l'incarcération de deux frères d'Adama Traoré, mort le 19 juillet dernier, suite à son arrestation par les gendarmes.

Le temps imparti dans les radios du matin ne permet pas d'aller plus loin. C'est bien dommage. Par exemple, il ne permet pas d'expliquer pourquoi deux frères du jeune homme ont ainsi été placés en détention. Ah si : une radio plus scrupuleuse que les autres rappelle que ces interpellations font suite à des incidents lors d'un conseil municipal de Beaumont-sur-Oise, la semaine dernière. Le conseil ne s'est finalement pas tenu. Donc voilà : les frères Traoré ont entravé un conseil, ils sont au trou en attendant leur jugement, tout est logique. Et cette fois, le temps imparti s'arrête là. N'insistez pas.

C'est bien dommage (bis). Si on avait pu pousser un peu les limites du temps imparti, on aurait pu expliquer pourquoi les soutiens d'Adama Traoré ont protesté contre la tenue du conseil municipal de Beaumont-sur-Oise. Parce que la maire UDI, Nathalie Groux, souhaitait y faire adopter une délibération autorisant la commune à prendre en charge ses frais personnels de justice, à concurrence de 10 000 euros (d'argent public, donc). Et pourquoi cette délibération ? Parce que la maire de Beaumont a attaqué en diffamation Assa Traoré, soeur d'Adama Traoré. Et pourquoi cette procédure ? Parce que Assa Traoré, dans l'émission de Mouloud Achour sur Canal+, a dit ceci : "Nous sommes des habitants de Beaumont depuis presque 30 ans, mais nous avons été traités comme des inconnus (…) Nous n’avons toujours pas eu de condoléances, nous avons des bâtons dans les roues depuis le début, dès qu’on veut mettre quelque chose en place. Donc la maire a choisi son camp et de quel côté elle se met, du côté des gendarmes. Ce qui veut dire du côté de la violence policière."

Nathalie Groux, maire de Beaumont-sur-Oise

Si l'on pouvait pousser les limites du temps imparti, à ce stade, il importerait de rappeler toute l'affaire. De rappeler comment le procureur d'alors a tordu les rapports d'autopsie pour faire croire que Traoré était mort "d'une infection", alors que deux rapports évoquent "un syndrôme asphyxique". De rappeler que les gendarmes eux-mêmes, lors de leurs auditions, ont reconnu que Traoré avait pris "le poids de leurs corps à tous les trois". De rappeler comment ce procureur a ensuite été muté. De rappeler comment le New York Timesvoit dans cette affaire le symbole de "la culture de l'impunité bien ancrée" chez les policiers. Il y aurait tant de choses à rappeler.

Mais les radios du matin, dans le temps imparti, ne peuvent traiter que de l'actualité immédiate. La maire Nathalie Groux, donc, se plaint d'avoir été diffamée. C'est possible. La Justice le dira éventuellement. Mais si les radios avaient pu pousser encore les limites du temps imparti, elles auraient pu préciser que Nathalie Groux, qui a publiquement gardé le silence depuis la mort d'Adama Traoré, et s'est donc bien gardée de tout geste déplacé de compassion envers la famille, s'est en revanche exprimée sur son compte Facebook, où elle a par exemple, comme le relève Buzzfeed, partagé un message incitant les "citoyens de souche" à s'armer, pour venir en aide à la police, après un fait-divers à Tours (la maire de Beaumont a ensuite désactivé son compte Facebook).

On me dit dans l'oreillette que j'ai moi-même dépassé depuis longtemps le temps imparti. Dommage (ter). Il me restait à préciser qu'un nouveau conseil municipal de Beaumont-sur-Oise a été annulé hier soir, pour les mêmes raisons. Je vous laisse écouter la déclaration de Assa Traoré, devant la mairie, enregistrée et diffusée par Taranis News. On notera que, parmi les quelques micros tendus devant Assa Traoré, un seul porte le sigle d'une de nos radios du matin (Franceinfo). Enfin, on peut voir ici notre émission avec Gaspard Glanz, fondateur et salarié unique de Taranis News, jeune reporter qui, au nombre de ses nombreuses fautes de goût, n'hésite jamais à dépasser le temps imparti.

Assa Traoré, 24 novembre 2016

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