Trump président : dépasser le vertige

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 201 commentaires

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Puisque à l'heure où j'écris, Donald Trump prononce son discours de vainqueur, puisqu'il faut bien regarder en face cette image inimaginable, inutile de dissimuler un sentiment d'effroi, sociologiquement naturel pour un Européen de mon profil. Journaliste, électeur traditionnel de gauche, roulant en Velib (quand pas en scooter), vivant dans la capitale d'un grand pays européen développé, j'ai tout pour redouter l'accession au pouvoir du Trump que le système médiatique mondial m'a présenté, et que nous avons abondamment décrit sur ce site.

Tout pour trembler, comme ces Américains qui, parait-il, ont pris d'assaut le site de l'immigration canadienne. Tout pour partager ce vertige, qu'a tweeté l'ambassadeur de France à Washington Gérard Araud avant d'effacer son tweet, ce vertige devant le climato-scepticisme du nouveau président américain, ou devant le monde post-OTAN que ses déclarations ont semblé esquisser. On nous a trop conditionnés à attendre de l'Amérique salut et protection, pour que nous ne tremblions pas de voir Trump aux manettes. Et c'est à peine si ce vertige se panache de l'amère satisfaction de voir que l'appareil médiatico-sondagier, de ses grands patrons à ses soutiers, refusant jusqu'à hier soir d'envisager l'inimaginable, s'est une fois encore auto-persuadé que le monde était à son image. Que cette machine folle, qui a d'abord assuré à Trump une promotion insensée, en braquant sur lui ses caméras fascinées, avant de tenter dans la panique de tuer le monstre qu'elle avait fabriqué, cette machine est irréformable. Et qu'il est donc plus que jamais indispensable que s'inventent, un jour, Dieu sait sous quelle forme, d'autres medias.

S'il fallait un signe, un seul, qu'ils sont irréformables, et ne comprendront jamais, c'est celui-ci : tous les envoyés spéciaux des medias mainstream français qui se sont délocalisés aux Etats-Unis pour couvrir l'élection se sont installés...à New York. Au milieu des gratte-ciel, des financiers, des journalistes, des éditeurs et des think tanks, c'est à dire à l'endroit des Etats-Unis où le phénomène Trump est le plus opaque. Où les rideaux sont les plus hermétiquement clos sur le peuple américain. Pas un seul ne s'est installé à Flint ou à Detroit, c'est à dire au coeur du nouveau trumpisme.

Mais ce vertige ne dispense pas de tenter de comprendre. Trump est bien entendu la caricature misogyne et xénophobe qu'en présentent les medias, européens et américains. Mais il n'est pas que cela. C'est aussi, comme le reconnaissait Michael Moore, ou comme le rappelait voici deux mois l'ancien directeur du Monde Diplomatique Ignacio Ramonet, dans un article que nous avions signalé, et qu'il va être urgent de relire aujourd'hui, un candidat qui souhaite augmenter les droits de douane des produits chinois, augmenter les impôts des traders des hedge funds, renégocier ou sortir de l'OMC, diminuer le prix des médicaments, maintenir les assurances santé et vieillesse instaurées par Obama que les autres candidats républicains souhaitaient supprimer, rétablir le Glass-Steagall Act, voté lors de la crise de 29 et abrogé par Bill Clinton, qui séparait banque traditionnelle et banque d'affaires (nous vous l'expliquons ici). Que sa future majorité républicaine lui laisse les mains libres pour mener à bien ce programme est une autre affaire, mais c'est aussi sur ces promesses qu'il s'est fait élire. On a toutes les raisons de trembler, mais il n'est pas interdit de chercher à comprendre.

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