Le Pepper Grill, restaurant perquisitionné (et halal)

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 193 commentaires

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C'est un récit saisissant

publié par Le Monde, celui de l'une des premières "perquisitions administratives" de l'état d'urgence. La scène se déroule dans un restaurant du Val d'Oise, le Pepper Grill, et rien n'y manque. L'irruption au milieu des convives de dizaines de policiers en tenue d'intervention ; les convives sidérés, empêchés de sortir, sommés de garder "les mains sur la table" ; les trois portes défoncées au bélier alors que l'on pouvait facilement les ouvrir ; et enfin, l'inefficacité de toute l'opération, les policiers n'ayant rien découvert, ni d'ailleurs procédé à aucun contrôle d'identité.

Parfait. Travail plus qu'utile. Comme est davantage qu'utile"l'observatoire de l'état d'urgence", créé par le même journal, et qui devrait permettre de contrebalancer, par des récits et des reportages au plus près des bavures éventuelles, le concert des discours officiels lénifiants et des sondages badigeonnés à l'union sacrée sur les Français-qui-approuvent-l'état-d'urgence-et-sont-prêts-à-renoncer-à-certaines-de-leurs-libertés. Saluons. Saluons sans réserve l'initiative journalistique.

Mais maintenant attention, je vais pinailler. C'est au 9e paragraphe (sur 14) que le lecteur du Monde apprend que ce restaurant est halal. Et il l'apprend comme par mégarde, dans la bouche du restaurateur lui-même : "Mon restaurant est halal parce que je suis musulman, mais ce n’est même pas notifié sur la façade".C'est au 10e paragraphe que le même lecteur apprend que le restaurant comporte une salle de prière. Pourtant, le restaurant lui-même, se définit comme un restaurant halal. C'est ainsi, en tout cas, qu'il était présenté, dès le sous-titre, dans un article élogieux du site communautaire Al Kanz, deux ans avant les carnages du 13 novembre -article dans lequel l'on apprend d'ailleurs aussi que le restaurant ne comporte pas seulement une salle de prière mais deux, une pour les hommes, une pour les femmes.

Comment le lecteur, révolté par la violence du récit de la perquisition, ne se sentirait-il pas légèrement manipulé quand, arrivé au 9e paragraphe, il apprend que le restaurant est halal ? Oui, manipulé en ce sens précis : l'auteur de l'article a-t-il pensé que lui, lecteur, serait moins choqué par le récit de la perquisition s'il savait, dès le début de sa lecture, qu'elle visait un restaurant halal ? L'auteur a-t-il présupposé qu'une perquisiton arbitraire et violente dans un restaurant halal choquerait moins qu'une perquisition arbitraire et violente dans un restaurant lambda ? Si c'est le cas, l'auteur a eu tort. Arbitraire et inutilement violente, la perquisition le reste toujours autant dans un restaurant halal, que dans un restaurant pas halal. Il semble évident que le Pepper Grill a été ciblé par la préfecture parce que halal. Et alors ? Une perquisition policière peut être ciblée et arbitraire. Documenter les bavures éventuelles de l'état d'urgence sans nommer ceux qui en sont la cible, les nommer ouvertement, sans restriction mentale aucune, c'est, d'une certaine façon, intérioriser la logique préfectorale, en présupposant que certains actes arbitraires indigneront davantage que d'autres. Je vous ai prévenus que j'allais pinailler. Mais on est là pour ça, non ?

Pepper Grill, pictogrammes de la salle de change et de la salle de prière pour hommes (Al Kanz)

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