Le Pen et les socialistes : et revoilà le vieux soupçon
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 41 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Et revoilà le soupçon, le vieux soupçon : le pouvoir socialiste joue-t-il délibérément de l'épouvantail Marine Le Pen ?
Aux infos du matin, s'entrechoquent deux faits : dans son réquisitoire, à Lyon, contre Le Pen après qu'elle a assimilé les prières de rue des musulmans à l'Occupation allemande, le procureur (représentant du parquet, hiérarchiquement soumis au gouvernement) a requis la relaxe. Et ce soir, Le Pen sera pour la cinquième fois invitée principale de l'émission Des paroles et des actes, sur la chaîne publique France 2 (c'est la recordwoman des invitations de l'émission). Et revoilà donc le soupçon, parfaitement exprimé par le coordinateur du Parti de gauche Eric Coquerel, sur RFI ce matin : le pouvoir promeut Le Pen. Le pouvoir ménage Le Pen. Le pouvoir ne veut pas risquer une condamnation de Le Pen pour inéligibilité.
A les examiner de près, ces deux faits (le réquisitoire du procureur, et l'invitation de France 2) peuvent sembler parfaitement justifiables. Le procureur de Lyon Bernard Reynaud explique qu'il n'y a pas matière à condamnation pour incitation à la haine raciale, les phrases poursuivies par des associations antiracistes ne visant pas l'ensemble des Musulmans, mais seulement ceux qui pratiquent la prière de rue. Ce clément réquisitoire n'arrange d'ailleurs pas forcément les affaires de Le Pen, la privant du plaisir de crier au procès politique du pouvoir (argument qu'elle ne s'est pourtant pas privée d'utiliser, mais on n'est pas à une incohérence près).
Quant à France 2,elle a dégainé les statistiques qui l'arrangent, et selon lesquelles les invitations du FN à DPDA ne représenteraient que 12% des invitations totales depuis la création de l'émission. L'effet de surmédiatisation de Le Pen tiendrait au fait qu'elle est, aux yeux de Pujadas, la seule invitable dans son parti pour une émission qui ne souhaite inviter que des responsables ayant une certaine "envergure". Ces impeccables calculs n'ont d'ailleurs pas empêché France 2 de faire marche arrière dans la nuit, devant les protestations conjointes de Sarkozy et Cambadélis, et d'inviter, avec Le Pen, les candidats PS et LR dans la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie.
Bref, il n'y aurait pas matière à polémique (l'analyse du parquet de Lyon se tient, et les statistiques de France 2 aussi), si les deux événements ne venaient rappeler la grande tradition socialiste de promotion du FN avant une élection, afin de tenter de faire baisser les scores de la droite. C'est François Mitterrand lui-même, le FN étant alors encore groupusculaire, qui en 1982 avait incité la télévision (toutes les chaines étaient alors publiques) à ouvrir les portes des studios à Le Pen (Jean-Marie), ce qui lui valut dans les années suivantes de nombreuses invitations à l'émission ancêtre de Des paroles et des actes, L'Heure de vérité (de savoureux détails ont été donnés par Emmanuel Faux, Thomas Legrand et Gilles Perez dans leur livre, La Main droite de Dieu). Et Mitterrand savait parfaitement, avant une élection, manier les thèmes comme le droit de vote des immigrés aux élections locales, propres à fournir de belles envolées aux lepénistes. Le contexte, le fameux contexte, n'accrédite pas forcément la thèse d'un machiavélisme des socialistes, mais il ne l'invalide pas non plus.