Une mésaventure nocturne

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 225 commentaires

A mon tour ! Après mon camarade Pierre Haski, de Rue 89

, après notre confrère Benoit Le Corre, l'an dernier, après le militant pro-palestinien de Marseille Pierre Stamboul, la semaine dernière, j'ai été cette nuit victime du dénommé Gregory Chelli, hacker sioniste bien connu ici, ou de ses frères, ou de ses cousins, ou de ses disciples, ou de ses fans. Le scénario ? Toujours le même - décidément, ces gens manquent d'imagination. Le commissariat de mon arrondissement reçoit en pleine nuit l'appel d'un correspondant qui se fait passer pour moi. Ce correspondant affirme qu'il vient de tuer sa femme, et qu'il est retranché chez lui, prêt à tirer sur la police.

Résultat ? Trente policiers de la BAC déployés dans l'escalier et dans la cour de mon immeuble, deux commissaires, une procureure adjointe, mes voisins réveillés au coeur de la nuit : voilà le bilan de l'enquête que nous avons publiée hier, sur la mésaventure survenue à Pierre Stambul, co-président de l'Union Juive Française pour la Paix (UJFP). Caramba, leur coup a raté, si j'ose dire : je n'étais pas sur place, et les policiers, à la différence de leurs collègues marseillais du RAID, ont eu la présence d'esprit de ne pas défoncer ma porte. On ne saurait trop saluer la présence d'esprit de la BAC de Paris.

Cette situation d'implication personnelle, d'un point de vue professsionnel, présente deux risques contraires. D'abord, nous intimider, pour nous dissuader de traiter le sujet de la cyber-guerre que mènent certains ultra-pro-israéliens contre ceux qu'ils perçoivent comme des adversaires. Peu de risques de ce côté. Notre parole restera libre. Plus pervers est le second risque, inverse : faire du combat contre cette bande de sinistres plaisantins un combat personnel du site, au risque évidemment de donner à leurs actions un écho disproportionné. C'est un vrai danger. Par exemple, plutôt que de mes petites mésaventures, j'aurais pu vous parler ce matin de l'étrange offensive médiatique de Robert Badinter contre le code du travail, et, par exemple, comparer son écho à celui, sur un sujet voisin, des livres de son ancien collègue Pierre Joxe. Mais nous y reviendrons.

Un autre effet pervers, serait de nous amener à renoncer aux élémentaires précautions qui s'imposent dans toute enquête. Par exemple, la tentation serait forte, en dépit de ses démentis, de mettre en cause directement le hacker franco-israélien dans l'agression contre Stamboul, ou encore dans la cyber-agression contre le PDG d'Orange Stéphane Richard, qui vient de porter plainte pour menaces de mort, après que son numéro de portable personnel a été divulgué, suite à la polémique qui l'a visé en Israël. Mais non. Si le susnommé dément, on continuera consciencieusement, dans nos enquêtes, à mentionner ses démentis. Les croira qui voudra. Bref, si je vais évidemment porter plainte dès aujourd'hui, on va s'efforcer de traiter ce sujet-là comme les autres. Sans haine et sans crainte, comme on dit.

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