Causette et causeur, match nul

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 132 commentaires

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Supposons que vous êtes un mensuel. Vous voulez faire parler du nouveau numéro

, en vente dans tous les bons kiosques. La concurrence est rude. Les hebdos ont déjà préempté les Roms, les assistés, l'Islam qui fait peur, le désastre Hollande, le retour de Sarkozy (mais aussi le chocolat, le bonheur et la coriandre). Que vous reste-t-il ? La prostitution. Vous voulez vendre ? Faites pute, soyez pute. Mais bien pute. Le mensuel féministe Causette (nous avions interviewé son équipe ici) recense sur plusieurs pages les 55 raisons de ne pas aller aux putes. 55 blagues de comptoir, comme celle-ci : "parce que quitte à se taper une fille qui n'a pas envie, autant la violer, c'est moins cher (mollo, on déconne)". Bingo. encore plus fort que Ayrault suspendant l'écotaxe. Tollé des "travailleurs sexuels" (prévisible), mais tollé identique des féministes abolitionnistes, on ne rigole pas avec le sujet.

Mais on n'a rien vu. De l'autre côté, voici le mensuel Causeur (nous avions interviewé sa fondatrice Elisabeth Lévy ici), qui lance un manifeste des "343 salauds" : "touche pas à ma pute". Il s'agit, on l'aura compris, d'une protestation contre le projet de pénalisation des clients de prostituées, détournant habilement le "manifeste des 343 salopes" pour l'avortement, initié en 1971 par Simone de Beauvoir. Parmi les "343", ce qu'il faut de grandes gueules de la télé (Zemmour, Bedos fils, Rioufol) pour le bon impact de l'opération. Bingo au carré. Avant même sa parution, le "manifeste" est dénoncé dans une tribune du Monde, et évidemment, par Najat Vallaud-Belkacem, laquelle, après l'affaire Choper une fille en trois questions, ne saurait manquer une occasion de donner un coup de main à un effroi promotionnel.

Dans les opérations de ce type, on ne sait qu'admirer davantage, entre la créativité des équipes de mensuels lancées dans l'ascension par la face blagues d'un débat rigoureusement immobile, et la collaboration bénévole des twittos effarouchés, qui leur assurent l'écho recherché. Mais alors, demanderez-vous, ô matinaute, pourquoi consacrer à ce match nul ta chronique de veille du pont (bienvenu) de la Toussaint ? Par sens du sacrifice. Pour vous éviter d'avoir à cliquer ou (pire encore) à acheter les publications en question. Et pour vous inciter par exemple à consacrer votre temps de cerveau disponible à regarder notre émission 14 h 42, qui vous offre en 42 minutes chrono un rattrapage sur l'affaire de l'espionnage par la NSA si, trop accaparé par les controverses sur la prostitution, vous n'y avez rien compris jusqu'à présent.

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