Hollande "piégé" : mais par qui ?

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 82 commentaires

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C'est un des petits bonheurs consolateurs de la rentrée.

Comme on retrouve sa trousse et ses gommes, on retrouve ses éditorialistes préférés, inchangés, intacts, requinqués par quelques semaines de débranchement. Au micro d'Inter, voici Thomas Legrand et Bernard Guetta, se partageant le plat du matin : Hollande piégé par Obama sur la Syrie. Oui oui, piégé. Hollande était parti sabre au clair pour "punir" Assad après une attaque à l'arme chimique fin août. Là-dessus, le parlement britannique se prononce contre la guerre, et voilà Obama se souvenant qu'il existe aussi un Parlement aux Etats-Unis. La punition attendra donc le 9 septembre, au plus tôt, ce dont Obama a l'obligeance de prévenir Hollande. Lequel, donc, se retrouve "piégé", dans la position doublement inconfortable de celui qui a dégainé avant d'avoir un fusil, et du seul président des "démocraties occidentales" à pouvoir s'asseoir sur son Parlement, ce qui est tout de même un peu voyant.

Croit-on que Legrand et Guetta vont saluer la sagesse d'Obama, et la grandeur de la démocratie britannique ? Mais non. Legrand part dans de grandes explications sur la Ve République : elle est ce qu'elle est, et qu'elle a toujours été, aujourd'hui davantage d'ailleurs que demain. Guetta est plus net : feu sur Obama, cet "intellectuel", cet "observateur" (deux des défauts les plus épouvantables dans l'échelle Guetta). Feu sur ces "grandes démocraties", qui "paraissent se coucher devant un dictateur". Que Hollande se soit "piégé" tout seul, en dégainant plus vite que son ombre, en utilisant un vocabulaire qui trahit le flou des buts de guerre ("punir" Assad) n'effleure l'esprit d'aucun des oracles du matin.

S'ils sont pris à contrepied, c'est bien parce que les grandes consciences de la presse française sont parmi les premières à avoir "piégé" Hollande, en le sommant d'aller bastonner Assad, sans se soucier particulièrement du Parlement. Aux avants-postes, Le Monde, qui en multipliant reportages et éditoriaux, tente depuis des mois de chauffer l'opinion française, en déguisant Assad en Hitler, et les rebelles syriens soutenus (notamment) par le Qatar en dépenaillés en sandales. Sans grand succès apparemment, sauf sur Harlem Désir, le seul à ce jour à avoir brandi à la droite l'inusable fantôme de la capitulation de Munich.

La presse est-elle dans son rôle en dénonçant des crimes de guerre ? Oui, incontestablement. Est-elle dans son rôle en rapportant de Syrie des échantillons pouvant concourir à la preuve de ces crimes (on en parlait dans une de nos émissions du printemps) ? Oui encore. Doit-elle donner ces échantillons au gouvernement français ? Ca se discute. Ce travail de reportage l'autorise-t-elle moralement à sommer le gouvernement de partir en guerre ? C'est à cet instant, qu'elle devrait se souvenir de tout ce qu'elle ne sait pas, c'est à dire l'essentiel. A quel niveau du commandement de l'armée syrienne a été donné l'ordre d'utiliser les gaz ? A quelle échelle ont-ils été utilisés ? Les rebelles ont-ils riposté avec les mêmes armes ? Entre Obama et Hollande, qui a poussé qui, qui s'aligne sur qui (tiens, cet article du New York Times vous a peut-être échappé en août. Lecture impérative) ? Autant de points sur lesquels les medias, avec les outils forcément imparfaits qui sont les leurs, ignorent davantage qu'ils ne savent.

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