Choisir ses mots, choisir son camp

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 302 commentaires

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Evidemment l'indignation. Un jeune homme de 18 ans, frappé à mort en pleine rue par un groupe d'agresseurs

, s'écroule, sa tête heurte un plot, il est en état de mort cérébrale. Tout nous indigne : l'âge de la victime, l'agression, la mort. Mais juste après l'indignation, l'embarras des mots, et les questions sur les circonstances. La victime, Clément Méric, était étudiant à Sciences Po Paris, dit-on, et militant proche du mouvement "Action antisfasciste Paris banlieue". Quant aux agresseurs, ils seraient, eux, des militants des "Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires" de Serge Ayoub, dit Batskin (pour en savoir plus sur ces charmants jeunes gens, voir quelques extraits du documentaire de Canal+ que nous diffusions dans une de nos dernières émissions, et entendre notamment Ayoub y déclarer que "la violence est un moyen d'expression").

Comment, pour les journalistes qui relatent les premiers l'événement, survenu mercredi en fin d'après-midi, désigner d'abord la victime ? Etudiant ? C'est évidemment incomplet, et ce n'est pas en qualité d'étudiant, que Clément Méric a été frappé. Militant d'extrême-gauche ? Attention à ne pas créer une fausse symétrie avec l'extrême-droite, renvoyant ainsi dos à dos agresseurs et agressés. Militant antifasciste ? Mais les agresseurs peuvent-ils vraiment être appelés des "fascistes" ? Quant à ces agresseurs, mêmes questions. Faut-il les appeler des "skinheads", ce qui atténue la responsabilité éventuelle de leur organisation politique ? Faut-il les désigner par le nom de cette organisation, les "Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires" ? Mais le seul témoignage sur leur appartenance à ce mouvement provient manifestement des accompagnateurs de la victime, et il est donc à confirmer.

Pour la presse comme demain pour la police, impossible de répondre à ces questions sans reconstituer le plus précisément possible les faits, pour l'instant peu clairs. Quel enchainement d'événements, apparemment en dehors de tout contexte de manifestation, a conduit à la bagarre mortelle ? Agresseurs et victimes se sont-ils retrouvés par hasard ? Et sinon, comment le groupe d'agresseurs savait-il qu'un petit groupe de militants ennemis se trouvait dans cette "vente privée" d'un magasin de vêtements de sport, dans le quartier de la gare Saint-Lazare, à Paris ? Les deux groupes se connaissaient-ils ? Il faudra, pour savoir, attendre l'enquête de police, et surtout le procès, qui seul permet d'approcher la réalité du déroulement des événements. Et en attendant, savoir que choisir ses mots, c'est choisir son camp.

Spécial Investigation, Canal+, capture écran

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