Juppé, et l'affaire Théodorakis
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 269 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
A quelque chose défaite est bonne: les chefs de l'UMP sont de grands garçons et de grandes filles.
Ils n'ont plus besoin d'aller chercher leurs éléments de langage à l'Elysée. Ils en trouvent tout seuls. Ainsi, ce matin, "l'affaire Théodorakis". Pour justifier ce que l'on appelle sa politique du ni-ni, Juppé s'offensait ce matin sur France Inter que l'on cherche des noises à la droite sur ses rapports avec le FN, alors que le PS fréquente Mélenchon, lequel "a des amis antisémites". Des amis antisémites ? Lesquels ? objecte Patrick Cohen. Passe d'armes confuse, dont il résulte que le Front de Gauche aurait relayé un appel du compositeur grec Mikis Théodorakis en faveur de la Grèce, lequel Théodorakis aurait proclamé son antisémitisme.
Dans les courts délais impartis, examinons les pièces. En appelant au secours notre ami Wikipedia. "Le 3 février 2011, dans un entretien donné à la chaine de télévision grecque HIGH, Mikis Théodorakis a déclaré: «Oui, je suis antisémite et antisioniste. J’aime le peuple juif et j’ai vécu avec lui, mais les Américains juifs se cachent derrière tout, les attentats en Irak, les attaques économiques en Europe, en Amérique, en Asie, les Juifs américains sont derrière Bush, Clinton, et derrière les banques. (…) les Juifs américains sont derrière la crise mondiale qui a aussi touché la Grèce.» Bien. Si cette citation de notre ami Wikipedia est exacte, si elle n'est pas tronquée, le grand compositeur a manifestement, au soir de sa vie, comme on dit, basculé du côté obscur, ce qui impose évidemment de rompre avec lui toute relation politique.
Mais le Front de Gauche a-t-il "relayé" un appel de Théodorakis ? Eh bien oui. Plus précisément, le blog de Mélenchon lui-même, en date du 15 juin 2011. Mélenchon avait-il lu alors la notice Wikipedia du compositeur ? Cette notice, à cette date, comportait-elle déjà la citation de l'émission du 3 février précédent ? Quant à la droite, vient-elle seulement de découvrir l'affaire, ou bien se réservait-elle machiavéliquement l'argument pour l'entre-deux tours des législatives ? Autant de questions qui mériteraient une enquête approfondie, si cet élément de langage de la droite n'était destiné à s'envoler bientôt au vent de la campagne, après avoir atteint son but.
NB: ce dernier paragraphe a été modifié juste après mise en ligne, après découverte du texte du 15 juin de Mélenchon, grâce à un obligeant texto de...Patrick Cohen. Ca, c'est de la recherche en direct.
Mise à jour - 12h55 : Mélenchon n'avait pas pu lire les propos antisémites de Theodorakis sur sa notice wikipedia lorsqu'il a relayé son appel le 15 juin 2011. Et pour cause : le paragraphe "Controverses" de la notice du compositeur grec comprenant la citation sulfureuse n'a été rajouté que le 15 août 2011, d'après l'historique de l'article (ce qui nous a été signalé dans les forums de notre site).
Reste que Théodorakis a un goût prononcé pour les dérapages. Car le compositeur n'en était pas à son premier fait d'armes en la matière. Le site ConspiracyWatch.info en a recensé de plus anciens, dans un article publié le 14 août 2011 (après l'appel relayé par Mélenchon, donc) : "Le 4 novembre 2003, lors d’une conférence de presse pour promouvoir l'un de ses livres, Theodorakis a ainsi accusé les Juifs d’être «à la racine du Mal». Ses propos ayant provoqué un tollé (selon lui, ils auraient été mal interprétés, et ce «de façon totalement délibérée»), il a considéré comme calomnieuses, déjà, les accusations d'antisémitisme dont il a alors fait l'objet". Dans un entretien publié dans le journal israélien Ha’aretz en 2004, Theodorakis en remettait une couche en déclarant que les Juifs "tiennent la finance mondiale entre leurs mains", "contrôlent l’essentiel de l’économie et des mass-media", les "grandes banques", " souvent les gouvernements", ainsi que "la plupart des grands orchestres symphoniques du monde". Mélenchon était-il au courant des frasques du compositeur ? La question reste entière.