Du bon usage des feux rouges

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 67 commentaires

D'un article, d'un film, d'une rencontre, on se souvient toujours mieux des premières lignes, des premières scènes, des premières minutes. Le cerveau est ainsi fait. Que Hollande, traqué par l'escouade habituelle de motos et d'hélicos, s'arrête aux feux rouges en roulant vers l'Elysée, plongeant dans la pâmoison les caciques du direct laïve, imprimera les mémoires, comme Giscard arrivant à pied à l'Elysée, ou Mitterrand sur la tombe de Jean Moulin. Cela les imprimera faussement, abusivement, mais cela les imprimera. C'était donc bien joué. D'autant que le reste de la liturgie de la passation de pouvoir a été à l'unisson. L'orgie de bains de foule bien sûr, mais aussi l'éducation et la recherche, sans compter, à l'Elysée, un bon gros discours de gauche: en inscrivant ses premières heures dans l'obsession du contrepied des premières heures de Sarkozy, Hollande a gommé du paysage toute la sinistre panoplie bling bling. En quelques heures, il a esquissé la cartographie de cet étrange "Normaland" que va explorer notre nouvelle (et ancienne) chroniqueuse, Chloé Delaume, que nous retrouvons avec joie dans l'équipage. Il fallait le faire. C'est fait.

C'était nécessaire. Et d'autant plus, comme le souligne un député PS à Libé, qu' "on n'aura pas 36 000 occasions de marquer la rupture". Relisez bien la phrase: elle dit tout. A part des sourires et des discours, Hollande n'aura pas grand chose de neuf à proposer. Et à qui veut bien le voir, la première rencontre avec Merkel l'a amplement montré.

A-t-elle été assez précédée de roulements de tambour, cette première rencontre, par un appareil médiatique en transe. Austérité contre croissance, on allait voir ce qu'on allait voir. Il va nous la faire redémarrer, le Corrézien, l'économie européenne. A moi pelleteuses et bulldozers ! Et elle n'a qu'à bien se tenir, la chancelière, avec sa gamelle en Rhénanie-Westphalie. Bien. Très bien. Or donc, que dit la première conférence de presse commune à Berlin ? Qu'on est heureux de se rencontrer, qu'on peut parfaitement se comprendre même lorsque Monsieur parle français et Madame spricht deutsch (sic), et, ces bonnes bases bilingues étant posées, qu'on va causer. Sur la possibilité pour la BCE de prêter directement aux Etats (souhaitée par Hollande dans la campagne), pas un mot. Sur un allégement éventuel de l'austérité imposée à la Grèce, pas un mot non plus, rien d'autre que l'incantation, de plus en plus surréaliste, au maintien de la Grèce dans l'euro. Bref, avec l'Allemagne, on va caboter à l'aveugle dans la bourrasque, comme avant, comme toujours, à la recherche laborieuse d'une voie de passage. Rien de neuf, ni de très glorieux. Mais on s'arrêtera aux feux rouges, ce qui change tout.

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