[Avent 2021] Présidentielle 2012 : communication partout, journalisme nulle part

La rédaction - - 102 commentaires

Avent #10. "Les points de vue n'existent plus, on nous impose les points de vue"


Des "pools" de journalistes dociles, des scénographies soignées, des images de meetings fournies clé en main aux télés par les communicants, des reporters très encadrés au prétexte qu'ils sont très nombreux : cette campagne présidentielle qui oppose François Hollande au président sortant Nicolas Sarkozy est marquée par un surcontrôle des communicants sur les médias.

10 février 20212 : c'est reparti pour une campagne présidentielle ! Tiens, voici John-Paul Lepers, qu'on invitait en 2007 pour Canal +, mais le voilà fondateur de La Télé Libre et spécialiste des prises dévoilant les coulisses de la politique ; Sébastien Calvet, journaliste-photographe qui suit la campagne de François Hollande pour Libération et décrypte ses images sur son blog ; et Thomas Legrand, éditorialiste à France inter, soucieux de déjouer la communication politique.

Le débat politique peut-il survivre à l'hypermédiatisation de la campagne présidentielle ? Dans chacun de leurs déplacements, les deux favoris actuels des sondages sont suivis par une armée de photographes et de caméramen opérant pour les journaux télévisés, les documentaires à venir, les sites de presse en ligne et les chaînes d'information continue. Cela enrichit-il ou appauvrit-il la narration audiovisuelle de la campagne ? 

Des pools de journalistes "dociles"

Les hommes politiques cherchent à charmer les électeurs. Et quoi de mieux que de belles images au 20 Heures pour y parvenir ? Exemple avec la poignée de mains entre Hollande et Sarkozy au dîner du Crif. Cette séquence, où Hollande décide de fendre la foule pour aller serrer la main du président, a bien été captée par toutes les caméras présentes sur place. Il est assez rare de voir une séquence complète de manière aussi précise. Pour Thomas Legrand, cela a été possible car le lieu était "neutre", dépourvu de dispositif organisé par l'un des candidats. De plus, la salle est petite et dans cette cohue, les journalistes ont pu capter des images qui auraient pu leur être interdites par le staff des candidats dans d'autres circonstances. Présent à l'extérieur de la salle, Sébastien Calvet nuance : "C'était un bordel un peu organisé", explique-t-il. Les images ont en effet été réalisées par un "pool", c'est-à-dire un groupe de journalistes pré-selectionnés. (acte 1)

Le système de pool pose question. Dans le cadre du dîner du Crif, "le pool est justifié", estime John-Paul Lepers car la salle était exigüe et les journalistes trop nombreux. Mais dans d’autres cas, "que ce soit dans un événement présidentiel ou dans la campagne de François Hollande, il y a une utilisation du pool qui est excessive", explique Calvet. Legrand pointe un problème : qui choisit le pool ? "Ce ne sont pas les journalistes, ce sont les politiques", assure-t-il. Pour mieux contrôler les images ? Les staffs des politiques ont plutôt tendance à choisir "ceux qui sont dociles, qui ne vont pas râler", assure Calvet. Avant de reconnaître que lui aussi fait parfois partie des pools.

Chaque candidat accorde plus ou moins de liberté aux photographes et aux caméras. Par exemple, François Hollande accepte d'être photographié en train de manger, contrairement à François Mitterrand par exemple. "Pour la première fois, on a un candidat de gauche qui aime les médias. C'est une grande nouveauté au PS", remarque Lepers. Calvet confirme : "Il n'a aucun narcissisme, il n'a aucune conscience de son image." Ce qui ne veut pas dire que les images ne sont pas contrôlées. Manuel Valls, directeur de communication, joue les garde-fous sourcilleux. Et la scénographie du candidat socialiste est très étudiée : par exemple, quand Hollande répond à Sarkozy sur le projet de référendum sur les obligations des chômeurs, il le fait derrière un fond bleu avec le drapeau européen et le drapeau tricolore. Une posture très présidentielle. A l'inverse, quand Sarkozy se rend à la centrale nucléaire de Fessenheim, il est filmé au contact des salariés, pour casser l'image d'un président coupé du peuple. Chacun fabrique donc les images qui correspondent à sa stratégie politique du moment. (acte 2)

"Plus il y a de caméramen, moins il y a de journalistes qui posent des questions"

Les journalistes sont-ils trop nombreux à suivre les candidats ? Illustration avec un reportage de John-Paul Lepers à la dernière université d'été du PS à la Rochelle, qui montre une meute énorme de journaliste à la poursuite des candidats aux primaires. La situation est-elle pire aujourd'hui qu'en 2007 ? "C'était déjà compliqué, là, ça s'est démultiplié", estime Calvet. La cause ? Les sites internet, "pure players", ou de magazines hebdos, qui envoient leurs propres caméras, ou encore certaines chaînes comme Canal+, qui envoie à elle seule pas moins de 5 équipes. "Plus il y a de caméramen, moins il y a de journalistes qui posent des questions", déplore Lepers. "On cherche à avoir le buzz, la petite bêtise, l'image, mais on n'est jamais dans un questionnement." Calvet a trouvé une solution pour avoir accès plus librement à François Hollande et obtenir des photos qui ne soient pas formatées par la com' : "Les trous dans l'agenda, ce qui n'est pas au programme officiel." Il a par exemple suivi Hollande en Corrèze, à la fête de la truffe. Là, "on est tout seul", raconte-t-il. (acte 3)

Il y les trous dans l'agenda, mais aussi les meetings, moments très encadrés, à l'inverse, par les communicants. Thomas Legrand a vivement critiqué dans une de ses chroniques le meeting du Bourget de François Hollande, le 22 janvier, dont la réalisation a été confiée par le PS à une société de production. Ces images ont ensuite été fournies aux chaînes de télé, qui les ont utilisées dans leur reportage. "Une dérive en matière de politique-spectacle", déplore Legrand. 

Pour lui, le réalisateur devrait être un journaliste lui-même, qui aurait pensé à réaliser des plans de coupe plus pertinents. Lorsque Hollande parle du contrat de génération, auquel s'opposait Aubry, il aurait ainsi pu faire un zoom sur le visage de la première secrétaire. Pourtant, les journalistes télé que nous avons contactés n'étaient pas mécontents de ce dispositif, et assuraient, par ailleurs, avoir pu se déplacer comme ils le voulaient dans la salle pour réaliser des interviews de militants. "Je pense que les journalistes télé se satisfont un peu facilement du fait que l'image qui leur est fournie soit propre", balance Legrand... Mais ce qui le choque plus particulièrement, c'est que les chaines d'info en continu diffusent en direct les images réalisées par le PS : "Là, les directeurs des chaînes d'info devraient dire aux partis : «On diffuse votre meeting, mais laissez à l'un d'entre nous le soin de le réaliser.»"

Les photographes au bord de la grève

Lepers se plaint de la difficulté toujours plus grande d'approcher de près des candidats dans les meetings. Pour les photographes,"il faut avoir un objectif comme pour des reportages animaliers", raille-t-il. Des objectifs qui coûtent très cher, près de 6000 euros, explique Sébastien Calvet. Le photographe raconte (comme ici sur son blog) la lutte des photographes, au meeting de Hollande, pour pouvoir se déplacer dans la salle. Au départ, tous les photographes devaient rester dans un espace réservé, à 26 mètres de la scène. Ils ont dû menacer de faire grève pour avoir gain de cause. Il raconte aussi une bataille interne entre les chargés de com' de Hollande et... le service de presse du PS. (acte 4)

Illustration du "pas de côté" que vise Lepers quand il filme des meetings, un extrait du Jour de gloire, qu'il a réalisé pour Canal+ en 2007. On y voit les prétendants à la primaire PS, en très gros plan, filmés en contre-plongée. Daniel semble un peu sceptique. "C'est un regard artistique, explique Lepers. On ne cherche pas les trous de nez, on cherche à voir s'il ont un papier ou non". "On n'a pas de pudeur à avoir vis-à-vis des politiques, (...) ce sont des bêtes politiques". C'est précisément le type d'image que Lepers ne peut plus faire, aujourd'hui dans les meetings, assure-t-il. "Les points de vue n'existent plus, on nous impose les points de vue." Calvet ajoute : "Les gens chargés de la com' ont bien analysé la situation de la surpopulation médiatique", et ils s'en servent pour encadrer davantage les meetings politiques. "C'est un bon prétexte", renchérit Lepers.

Et retouvez la chronique de Maja Neskovic, qui est allée cette semaine aux sources de Jean-Marc Manach, journaliste à Owni, qui travaille sur les libertés sur internet (Nous l'avions d'ailleurs interrogé au sujet de la garde à vue d'un présumé Anonymous). (acte 5)

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