L'agenda masochiste, et ses limites
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 26 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Décidément, le système n'en finit pas d'étonner. Prenons le dernier bidule en date:
le "sommet social de l'Elysée", qui devrait ouvrir ses portes alors même qu'écrit le matinaute. Si vous avez échappé aux nombreux avant-papiers, Sarkozy va faire mine de tenter d'y faire avaler aux syndicats quelques trouvailles de dernière heure, parmi lesquelles la TVA sociale (mesure dont nous avons détaillé ici le caractère étrangement masochiste), et son cousin en "fais-moi-mal", le pacte "compétititivité emploi", dont Libération de ce jour décrit ainsi les radieuses promesses: "La réforme consisterait à rendre opposable au salarié un accord collectif qui modifierait le temps de travail et-ou les rémunérations. L’objectif étant, en période de difficultés économiques, de pouvoir diminuer le temps de travail et les rémunérations des salariés, ou d’augmenter le temps de travail sans augmenter les revenus. Voire d’accepter une baisse, a priori temporaire, des salaires. Et ce en échange de promesses d’investissement ou de maintien de l’emploi de la part de l’employeur".
On imagine l'enthousiasme des syndicats. Et pas seulement des syndicats. A son journal de 8 heures, France Inter faisait entendre les maigres applaudissements des parlementaires invités aux voeux de Matignon, alors que Fillon tentait de leur faire avaler l'activisme réformateur de la vingt-quatrième heure sarkozyenne. Cette jolie trouvaille sonore disait assez que les députés sortants goûtent peu le masochisme présidentiel. Ce qui n'empêche donc pas les signaux les plus énigmatiques de continuer à s'élever du faubourg Saint Honoré, artère parisienne où est situé l'Elysée.
Or voici le sujet d'étonnement matinal. Tout en anticipant l'échec du bidule, qui sera oublié quelques minutes après l'extinction du dernier projecteur, la machinerie ne peut s'empêcher (pour quelle raison ? Par simple réflexe ? Mystère, donc) d'y accorder ses premières pages et ses premiers titres (premier titre du journal de France Inter, pages "Evénement" de Libé, etc). Donné écrasé au second tour par tous les sondages dans des proportions encore jamais atteintes, le sortant continue donc, comme aux beaux jours, d'exercer sur le système médiatique son pouvoir d'imposer l'agenda. Les pessimistes le déploreront. Les optimistes en déduiront que le pouvoir de l'agenda médiatique atteint ses limites, dès lors qu'il se heurte à l'hostilité inébranlable du corps social.
Léopold von Sacher-Masoch