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Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 194 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Cette fois, ça suffit. On va sévir !
Pour mater la grève des employés de sécurité dans les aéroports, une réunion de crise s'est tenue lundi à l'Elysée, annonce France Inter. Avec le président, le Premier ministre, et les ministres concernés (à l'exception du ministre des Transports, rappelé en urgence de Londres, mais malencontreusement retenu par un retard de train). Oui, une réunion de crise, comme pour la Libye (mais où est donc BHL ?) Pour suppléer les grévistes, 500 CRS et gendarmes seront mobilisés dès mercredi. "Ce sont des personnels de sécurité, ils seront donc parfaitement aptes à efffectuer des tâches de sécurité", explique l'ineffable Frédéric Lefebvre, sur France Inter. Nicolas Sarkozy veut qu'on arrête d'embêter les Français, relate avec conviction Jean-François Achilli, journaliste politique de France Inter. C'est vrai, enfin. "Les Français", qui ont trimé toute l'année dans des conditions difficiles, ont bien le droit de "souffler un peu" (Sarkozy encore, cité par Achilli).
Le journaliste de la radio publique ne fait là que relayer la parole présidentielle. Mais sans aucune distance, aucun recul. Il y adhère parfaitement. Sans par exemple jamais se demander si l'expression "les Français" est la mieux adaptée pour désigner les passagers des aéroports lors des départs de Noël. Sans jamais se poser cette question: quelle est la proportion exacte de Français qui prennent l'avion pour aller "souffler quelques jours" pour les congés de fin d'année ? En d'autres termes, quelle fraction de la population exactement est affectée par cette grève ?
Poser la question, c'est y répondre. A leur décharge, Sarkozy et Achilli sont victimes d'un effet d'évidence: les JT ouvrent sur les grèves des aéroports. Si l'impression de pagaille est si forte à chaque grève du transport aérien, c'est parce que ces grèves sont surmédiatisées par la télé. Ce qui déplace la question: pourquoi cette surmédiatisation ? Evidemment, parce que ce sujet est un marronnier. Mais aussi, disons-le, parce que les journalistes sont au coeur de cette fraction de la population, qui a les moyens de s'envoler pour les fêtes de fin d'année vers des cieux plus cléments. Imagine-t-on, par exemple, le même dispositif de crise quand une CAF ferme pendant deux semaines, pour résorber les retards de dossiers ? Imagine-t-on les envoyés spéciaux de Pujadas, en direct pendant quinze jours devant les grilles fermées ? Imagine-t-on des "rmistes pris en otage", pestant au micro contre la RGPP ? Jamais l'alliance, inconsciente mais objective, d'un système médiatique aux mains des dominants, et d'un pouvoir de droite, n'a été si évidente.