Le bazooka de la BCE, nouvelle pensée unique ?
Daniel Schneidermann - - Alternatives - Le matinaute - 93 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Et si on tentait, pour changer, de réfléchir hors de la boîte ?
J'entendais ce matin l'excellent Philippe Lefébure, sur France Inter, ricaner à propos des allers et retours du gouvernement, qui s'évertue à trouver quelques milliards d'économies à réaliser sur la sécu. Augmenter le nombre de jours de carence, dans le privé, dans le public, le re-diminuer, pour les uns, pour les autres, renoncer le lendemain à une solution que l'on vantait la veille, diminuer le plafond des remboursements: qu'est-ce qu'on rigole ! Mais il ne faut pas rire. C'est le triste spectacle auquel nous condamne, dans les mois et les années qui viennent, la politique unique Sarkozy-Hollande d'alignement sur les injonctions schizophrènes des marchés.
En musique de fond, les politiques français de droite et de gauche, de Sarkozy à Hollande, mais jusqu'à Mélenchon cette fois, les économistes de toutes obédiences (et même une proportion non négligeable d'économistes critiques) ont trouvé la solution miracle: il faut "monétiser la dette". Autrement dit, il faut autoriser la BCE à racheter, à un taux raisonnable, les obligations des Etats attaqués. "Yaka" sortir le gros bazooka de la BCE: tel est aujourd'hui le discours unique, la pensée unique française. Excellente solution, qui se heurte à un inconvénient minime: le refus de l'Allemagne, laquelle "ne cédera pas", prédisait Marie-France Garaud, sur notre plateau de vendredi dernier.
Discours unique, pensée unique, donc solution unique ? Pas tout à fait. Car il existe une autre voie de sortie: un défaut français. Oui, vous avez bien lu, mais je répète cette incongruité: un défaut partiel français, identique à celui que l'Europe vient de consentir à la Grèce. Cette hypothèse, tellement folle, tellement irresponsable, qu'elle n'est soulevée par aucun des économistes invités à s'expliquer sur les scènes médiatiques les plus exposées, a été évoquée sur le même plateau de vendredi, dans la même émission. Elle a été évoquée par un drôle d'oiseau, Olivier Berruyer, actuaire, blogueur, écolo, et qui considère d'un oeil chomskiste la fabrication du consentement sur la monétisation, qui s'est exclamé, sous les yeux horrifiés de Guillaume Duval, d'Alternatives Economiques: "j'ai 36 ans, et je ne veux pas passer vingt ans de ma vie à payer pour Liliane Bettencourt".
Je ne prétends pas ici qu'un défaut français soit une solution idéale, ni même qu'il soit une solution moins mauvaise que le recours à la BCE. Je dis simplement que cette solution doit être étudiée, dans toutes ses implications. Elle doit être sur la table. Et la placer sur la table, c'est répondre à quelques questions simples, au premier rang desquelles celle-ci: qui détient, in fine, la fameuse "dette française"? Autrement dit, si la France décrète qu'elle ne paie plus, qui se trouvera pénalisé ? "Liliane Bettencourt", comme dit Berruyer, c'est à dire une poignée de très gros intérêts, ou bien le modeste détenteur d'une assurance-vie à 5000 euros ? Les deux sans doute, mais dans quelles proportions ? Quelles sont les implications respectives de ces deux mauvaises solutions (le bazooka, le défaut) pour les Français, selon leur niveau de revenu et de patrimoine ? Quelles sont ces implications selon leur tranche d'âge ? (L'indifférence radicale de la classe dirigeante française, depuis 30 ans, à l'égard de sa jeunesse, et des "générations qui viendront" autorise pour le moins à poser cette question). Quand on objecte que la France, dans ce cas, "ne trouverait plus à se financer sur les marchés", est-ce exact ? Et quelles en seraient les conséquences, quelles seraient les parades ? Telles sont les questions qu'avec notre éconaute préférée, Anne-Sophie Jacques, nous allons poser en priorité dans les semaines qui viennent. Nous ne sommes pas économistes ? Non. Nous n'avons aucune légitimité particulière à engager ce débat ? Non. Aucune autre que le souci de comprendre, et de vous expliquer.