Charlie, Mahomet, et le piège à cons

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 466 commentaires

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Et c'est reparti ! Quand on a vu passer, portée par le gazouillis réprobateur et les battements d'aile effarouchés de Twitter, la couverture fatale de Charlie Hebdo (c'était lundi, si je me souviens bien), la question s'est posée: la signaler ou non ? Vite-dit ou pas vite-dit, sur le site ? Ce fut non. Pas envie de faire de la pub à cette provocation pas drôle. La dénonciation de toutes les charias, les vraies, les fausses, les réelles, les imaginaires, est un fonds de commerce comme un autre. C'est un placement sans risque (enfin disons, ce matin, sans trop de risque). Charlie Hebdo a le droit d'en encaisser périodiquement les dividendes. Il faut bien vivre. Et la déclaration du chef du CNT en Libye, et le résultat des élections tunisiennes, sont pain bénit pour les rigolos de Charlie. Hop, un petit coup de turban à la Une, ça fera le buzz, et ça évitera à nos lecteurs de réfléchir trop profondément aux rapports de la charia et du droit civil dans l'ensemble des pays musulmans, ou à la nature précise du parti Ennhada.

"C'est dur, d'être aimé par des cons", soupirait Allah sur une précédente couverture historique, qui valut jadis à Charlie Hebdo les ennuis (et la gloire) qu'on sait. La dénonciation des cons est un bien noble et nécessaire combat, dont Charlie s'est fait une spécialité, et qui lui vaudra toujours un assez large con...sensus de soutien. Le con étant la cible naturelle de Charlie, on comprend (oups) que son combat (re-oups) le porte naturellement vers les sujets piège à con, plutôt que vers les dossiers compliqués (bon, j'arrête), comme, au hasard, la crise de l'euro, dans lequel les cons et les pas cons sont plus délicats à départager.

Donc, on eût préféré s'abstenir, et le matinaute affûtait déjà sa position sur Papandreou. Mais voilà. Qu'une poignée de cons balance un cocktail Molotov, et l'abstention devient interdite. Nous voilà enrôlés, qu'on le veuille ou non, sous la banderole de la liberté menacée par les cons. Et amenés, avec la Sainte Union des pas trop cons, à rappeler ceci: oui, on a le droit de dessiner Mahomet à la Une, même si on n'est pas drôle, comme on a le droit de moquer, tant qu'on veut, les imams, les curés et les rabbins, et ce droit est inaliénable, et toute atteinte, par la force, à ce droit, doit être réprimée avec toute la sévérité possible. Je vais même plus loin: oui, on a même le droit d'être déséquilibrés dans l'exercice du droit sacré à la rigolade. Tiens par exemple, on a même le droit de faire la Une sur la Charia en Tunisie et en Libye, alors que chez nous, en France, à Paris, à quelques stations de métro des locaux de Charlie Hebdo, d'autres cons (se réclamant, eux, du catholicisme) tentent par tous les moyens d'entraver les représentations d'une pièce qui ne leur plait pas, "sur le concept du visage du fils de Dieu", pièce de Romeo Castellucci, sous prétexte que l'on y voit un portrait de Jésus (et il est vrai qu'ils ont de qui tenir). Voilà. Nous soutenons hautement le droit de Charlie Hebdo à faire la Une sur ces cons-ci, plutôt que sur ces cons-là. C'est dit. On peut passer à autre chose ?

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