Aux frais de la princesse
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 90 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Allons bon ! Le communiqué du sénateur Pastor (voir la chronique d'hier) n'était pas un faux !
Ce texte de soutien, abusivement signé de Gérard Larcher, président du Sénat, rappelant que "la morale et la droiture de Jean-Marc Pastor et Philippe Richert (autre questeur cité dans l'enquête de Mediapart), exemplaires, restent leur chemin de vie"n'était qu'un brouillon d' "éléments de langage, pour préparer un éventuel communiqué, élaborés par un fonctionnaire de la questure et qui devait encore être soumis au président Larcher. (...) Une des moutures de ces éléments de langage a été envoyée par erreur au niveau du secrétariat de la questure, alors qu'elle n'avait pas été validée". C'est désormais la version officielle. Merveilleuse explication, qui prend sans doute pour modèle l'inoubliable défense de PPDA, lors de la découverte du plagiat de sa biographie de Hemingway. Ah, maudite incompétence du "secrétariat de la questure" du Sénat ! Qu'on y fasse sauter un ou deux fusibles, dans ce secrétariat, et qu'on n'en parle plus !
Quant au sénateur Pastor, c'est sans doute par inadvertance qu'il avait fait des notes de frais dans l'hostellerie de sa fille. Il va rembourser. Sur ses deniers à lui, ses propres deniers, figurez-vous. Après quoi, l'affaire s'arrêtera là. Lisez bien vos journaux dans les jours qui viennent: personne n'y réclamera la moindre sanction contre le faussaire Pastor. Personne ne s'y interrogera sur la rallonge exceptionnelle de 3531,61 euros que viennent de s'octroyer les sénateurs, justement sur cette indemnité représentative pour frais de mandat (comment se fait-il, d'ailleurs, qu'on l'apprenne aujourd'hui ? Un lien avec l'affaire Pastor ? L'aurait-on appris sans l'affaire Pastor ?) Mediapart, lui, s'interroge (lien payant): dans quelle entreprise, quelle administration, accepterait-on qu'un responsable diffuse un faux signé du président ? Bonne question, que personne ne posera. Il est donc désormais acquis qu'existe, en plein Paris, une zone de non-droit, gouvernée par des moeurs maffieuses. Elle s'appelle le Sénat. Elle est protégée par des policiers et des gendarmes. Elle prospère au vu et au su de tous. Allez-y, traitez-moi de populiste de base ! Est-ce ma faute, si on se croit revenu à l'époque où Bruant, au Chat noir, chansonnait férocement les députés qui se gobergent aux frais de la princesse ? |
A propos de populisme et de gueuletons, je vous recommande cet article de mon excellent confrère Laurent Joffrin, directeur du Nouvel Observateur. Savourez-le bien. Gardez le bouche. Il le mérite. Aux yeux de Joffrin, DSK a donc commis un crime impardonnable: il a mangé des pâtes aux truffes. Avant les pâtes aux truffes, DSK était encore sauvable aux yeux de Joffrin qui, journaliste vertueux et sobre, n'a certainement jamais mis les pieds dans un restaurant où un plat coûte 70 euros. Mais ces pâtes aux truffes sont la goutte d'eau qui met le feu aux poudres, et dessille Joffrin: ciel, tout cela n'était donc que storytelling ! Pour mémoire, Joffrin était directeur de Libé, journal où travaillait (et travaille encore) Jean Quatremer, correspondant à Bruxelles, qui n'avait pu évoquer que sur son blog les pulsions harceleuses de DSK lors de sa nomination au FMI, car jamais le journal, dirigé par Joffrin, n'aurait souillé ses pages avec de telles allégations. A l'époque, ces pulsions harceleuses étaient un sujet tabou et populiste. Aujourd'hui, un plat de pâtes aux truffes est un crime. Mais pas d'inquiétude: ce ne sont pas les girouettes qui tournent, c'est le vent.