La crise grecque, le feu et les pompiers

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 101 commentaires

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Urgence ? Panique ? Dévissage des bourses européennes et mondiales, à propos de la crise grecque ?

 
Il y aurait le feu ? Allons donc. Hermann von Rompuy, nous apprennent les jités et les radios du matin, a convoqué un sommet européen pour...le 10 mai. Soit dans deux bonnes semaines. Et bizarrement, à propos de ce très long délai, pas un commentaire des commentateurs habituels, pas un ricanement des ricaneurs. Le feu est à l'euro, la cessation de paiement d'un Etat est au bout du chemin, l'Europe attend tranquillement deux semaines, et chacun trouve cela normal.

 

Aucun jité, aucun journaliste d'agence ni de radio, ne livre la raison de cet incroyable délai de deux semaines, mais cette raison n'est pourtant pas cachée. Le 10 mai...est le lendemain du 9 mai, jour d'élections en Allemagne, et plus précisément en Rhénanie du Nord-Westphalie. Pas question, pour la chancelière Merkel, sous pression d'une partie de son parti, lequel est sous pression de la redoutable Bild Zeitung, laquelle est sous pression de ses lecteurs (à moins qu'elle-même ne mette la pression sur ses lecteurs par sa campagne anti-feignants-menteurs-dissimulateurs-grecs, c'est l'éternelle question), pas question donc de débloquer effectivement toute aide à la Grèce avant ce jour-là. Et tant pis si, dans l'intervalle, les agences de notation peuvent encore dégrader la Grèce, si le déficit s'accroit encore, si chaque jour qui passe alourdit le plan de rigueur qui pèse sur les Grecs, augmente les risques de contagion au Portugal, à l'Espagne, à l'Irlande, et même, à en croire Mélenchon, bien seul à donner les inquiétants chiffres qu'il donne, à la France.

Merkel a ses raisons. Van Rompuy a les siennes. Mais quelles sont les raisons de tous les journalistes qui forment la grande chaîne de l'info, et qui ne nous donnent pas, comme si elles étaient secondaires, comme si les égoïsmes nationaux n'étaient pas un élément capital du problème, les raisons de Merkel et de Van Rompuy ? Mystère. En tout cas, l'omission systématique de ce petit bout de phrase de rien du tout -"Van Rompuy a convoqué un sommet européen pour le 10 mai, au lendemain d'une élection régionale allemande capitale pour la chancelière, qui redoute l'impopularité dans son pays de toute aide effective à la Grèce"- cette omission est à l'image de l'euphémisation systématique de la crise grecque, depuis le début, par les grands médias français. Burqa, tracteurs dans Paris, burqa, météo : il y a toujours un sujet jugé plus important que la crise grecque, pour ouvrir les journaux. Et quand enfin arrive le sujet, tout concourt à donner l'impression que la situation, au fond, est "sous contrôle". Inquiétudes, mais contenues. Sommets internationaux tendus, mais finalement souriants. Images lointaines des manifs de fonctionnaires grecs, mais jamais les détails que donne Mélenchon (voir plus haut) sur le contenu concret du plan de rigueur. De jour en jour, le feu gagne, mais les caméras restent bloquées sur les pompiers. Ils s'agitent, se chamaillent, n'ont toujours pas donné le tour de clé à leurs camions, d'ailleurs tiens, qui a la clé ? Mais ils ont de beaux uniformes, et leurs casques étincèlent. Tout va bien.

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