Proglio, le retour des argumenteurs

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 104 commentaires

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Revoilà les lemmings, frais et pimpants, comme neufs, jamais servi.

Vous les aviez aimés dans "Jean Sarkozy président de La Défense" ? (Souvenez-vous : "il est jeune mais pourtant talentueux, il a été élu, il ne sera pas payé, et vous êtes opposé à la modernisation de la vie politique ?") Vous les adorerez dans "le double salaire de Proglio". Revoilà la fière armée des argumenteurs, Woerth, Devedjian, Lefebvre, Chatel, Estrosi, Lagarde, déployée dans la plaine, feuille "d'éléments de langage" dans la poche. Qu'on se le dise donc, primo, Proglio, patron d'EDF et président du Conseil d'administration de Veolia, pour un montant cumulé de deux millions par an, n'est pas si bien payé. Au classement des patrons du CAC 40, il arrive, le cancre, 18 ème sur 40. D'ailleurs, deuxio, il n'est pas mieux payé qu'avant. Troisio, le talent se paie, et quel talent : à peine nommé, il dévore déjà le temps de Fillon, pour arbitrer sa querelle avec Areva. Enfin quarto, tout de même, bien entendu cherzauditeurs (et c'est l'argument le plus drôle) on comprend la polémique, le trouble, l'émotion (terme laissé au choix de l'interprète), c'est normal, humain, il y a tout de même des chiffres qui peuvent donner le vertige à des citoyens fragiles. Expliquons, expliquons donc.

A examiner la première prestation de la troupe, une faiblesse saute aux yeux : si l'argumensonge a été parfaitement rôdé sur l'aspect le plus apparent du scandale, les deux millions par an, il pèche en revanche sur l'aspect le plus réellement scandaleux : sa double casquette de dirigeant d'entreprise publique et d'entreprise privée, source de conflits d'intérêt potentiels. Il fallait entendre Estrosi, interrogé par Aphatie jeudi matin sur RTL, et dépourvu de toute réponse sur ce point précis. "Que se passera-t-il, en cas de conflit d'intérêt ? Eh bien...eh bien...il fera ce que le gouvernement lui dira".

Sans parler de cette question particulièrement traîtresse : Lagarde, qui s'était déclarée opposée à la double rémunération de Proglio, a-t-elle changé d'avis ? O affres ! O douleur ! Peut-on, ministre de la cinquième puissance mondiale, reconnaître qu'une collègue a changé d'avis ? Et Estrosi de finalement se laisser piéger, en reconnaissant le changement d'avis (faites chauffer la dépêche AFP !) Ayez pitié de lui, au château ! Fournissez-lui un argumentaire complet !

De tournée en tournée (et c'est l'aspect le plus rassurant) l'ouïe du matinaute s'affine pourtant. On apprend à décrypter les argumenteries. Quand, zappant entre les stations et les chaines, on perçoit le déploiement majestueux de la philarmonie, alors on sait que le gouvernement est en grand danger, et on se surprend à n'attendre rien d'autre que la reculade.

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