Accepter l'argent public ?

Daniel Schneidermann - - La vie du site - 434 commentaires

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Il fallait bien que cela arrive un jour : avec quelques autres "nouveaux médias", en ligne (Rue89, Mediapart, Bakchich, etc), nous venons de fonder un syndicat professionnel, répondant au joli nom de SPIIL (syndicat de la presse d'information indépendante en ligne).

Un syndicat professionnel qui aura pour vocation, comme on dit, de défendre nos "intérêts professionnels et moraux", au même titre que les quotidiens nationaux, régionaux, ou les magazines, qui disposent depuis longtemps de leurs instances professionnelles.

Il fallait bien que cela arrive un jour : avec quelques autres "nouveaux médias", en ligne (Rue89, Mediapart, Bakchich, etc), nous venons de fonder un syndicat professionnel, répondant au joli nom de SPIIL (syndicat de la presse d'information indépendante en ligne).

Un syndicat professionnel qui aura pour vocation, comme on dit, de défendre nos "intérêts professionnels et moraux", au même titre que les quotidiens nationaux, régionaux, ou les magazines, qui disposent depuis longtemps de leurs instances professionnelles.

Ce regroupement inscrit durablement les sites d'information dans le paysage. C'est bien. Et c'était nécessaire. Mais notre institutionnalisation présente aussi des risques. Ceux de l'institutionnalisation, justement.


Et un de ces risques va se présenter très bientôt, sous une forme très simple : l'Etat, dans sa grande bienveillance, a dégagé une enveloppe annuelle de vingt millions d'euros, devant aider la presse en ligne à se moderniser.

La question est très simple : devons-nous, ici, à @si, accepter cette aide ?

Nous en avons discuté. Et autant vous l'avouer : l'équipe est perplexe, divisée.

Nous avons, dès le début, refusé la ressource publicitaire, et nous nous en félicitons chaque jour.

Quelle position adopter à l'égard de l'argent public ?

La réponse dépend de l'analyse que nous faisons de ces fonds. Quelle est la nature de cet argent ? Une manne sarkozienne destinée à nous domestiquer, ou de l'argent du contribuable, dont il est juste que les sites de presse "pure players" bénéficient, au même titre que les sites des médias traditionnels ?

Plusieurs arguments militent pour que nous acceptions ces aides.

D'abord, il s'agit de l'argent du contribuable.

Après tout, on peut estimer que l'information en général, et la critique des médias en particulier (dans notre cas) sont une forme de service public. Rien de choquant, donc, à ce qu'ils soient, d'une certaine manière, subventionnés.

Si les sites de presse adossés à des grands médias sont aidés, et pas nous, les petits, les nouveaux, cela introduira une distorsion de concurrence.

En sens inverse, plaidant pour le refus de cette manne, il y a un argument, mais il pèse lourd : nous ne souhaitons pas dépendre de quiconque, hormis nos abonnés.

Pourquoi ? Si l'on me poussait dans mes retranchements, j'aurais bien du mal à répondre. Acceptant les subventions publiques, je ne craindrais pas vraiment pour notre indépendance d'esprit. L'aide sera attribuée par une commission paritaire, dans laquelle siégeront à la fois des professionnels, et des représentants de l'Etat. On ne peut pas redouter sérieusement que des enveloppes récompensent les médias "bien pensants", et punissent les autres. Aujourd'hui, L'Huma compte parmi les journaux les plus aidés. Cela ne se traduit pas, de sa part, par une bienveillance particulière envers le gouvernement.

Disons que je craindrais surtout...votre réaction, même informulée. Prenons un exemple. Depuis le début de "l'affaire Mitterrand", nous avons publié des articles qui lui étaient favorables, et d'autres qui ne l'étaient pas. Cette affaire, politico-moralo-littéraire, étant complexe, multi-facettes, il est normal que notre traitement soit contradictoire. Si nous étions dépendants, si peu que ce soit, de l'aide publique, pourrions-nous encore publier une chronique comme celle de Judith, qui prend la défense l'écrivain Mitterrand, sans être soupçonnés (et soupçonnables) de le faire pour de mauvaises raisons ?

Accessoirement : acceptant ces aides publiques, ne participons-nous pas à l'édification d'une barrière entre un "bon" et un "mauvais" Internet ? L'Internet instiutionnalisé des journalistes, reconnu et aidé par l'Etat, contre l'Internet rebelle des blogueurs et des militants, farouchement indépendant ?

Bref, une question compliquée. Peut-être la plus importante, symboliquement, que nous ayions eu à trancher, depuis la création du site.

Notre décision n'est pas prise. Avant que nous la prenions, je souhaite entendre ce que vous en pensez.

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