Pujadas, Juncker, et le Lavomatic
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 55 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Quels investigateurs, tout de même, à France2 !
Dans la journée, patatras, ils ont déterré un sacré lièvre: figurez-vous que le Luxembourg, oui, le tout proche Luxembourg, le paisible Luxembourg, serait un paradis fiscal, et pratiquerait le secret bancaire. Non ? Si ! C'est l'envoyé spécial de la chaine, qui a dévoilé le pot aux roses. Au péril de sa vie, il est allé enquêter au pôle financier du palais de Justice de Luxembourg, et vous savez quoi ? Il ne compte que quatre juges, et les ordinateurs sont obsolètes. Non ? Si ! Et plein de banques dans la rue piétonne (l'envoyé spécial les a filmées). Non ? Si ! Et même que pour vulgariser le mécanisme de la lessiveuse d'argent sale, le reporter fait son plateau de situation dans un Lavomatic. Quels investigateurs! Quel courage! |
Ah suppôts du Grand Duc, votre compte (numéroté) est bon. Accusé Juncker, Premier ministre du Grand Duché lessiveur, venez répondre à Pujadas en duplex. Vous croyiez y échapper, mon gaillard ? Depuis le temps qu'on vous voyait, au second plan sur les photos des sommets européens, depuis le temps que vous faisiez le bouche-trou dans les émissions du matin quand il fallait parler de l'Europe, vous pensiez avoir réussi à vous fondre dans l'image. Mais c'est fini. Alors, ces banques ? Alors, ce secret ? Alors, ces Lavomatics ?
C'est bien entendu un hasard total, si Sarkozy vient de lancer, le jour même, au Parlement européen une offensive publique à mots couverts contre le Luxembourg, dans le but, expliquent les stratèges, de déstabiliser Juncker, qui compte parmi les opposants à son projet de "gouvernement économique européen" (alors que le sujet, voici encore quelques mois, selon Le Monde, semblait le laisser de marbre). Ceux qui en déduiraient hâtivement que la télévision publique française se fait le relais-express de la tactique sarkozyenne n'auraient rien compris à la liberté-de-la-presse-absolue-qui-règne-en-France, et aux âpres grandeurs du journalisme d'investigation.
Mise à jour, 22 octobre, 20 heures
Arlette Chabot a envoyé au premier ministre luxembourgois Jean-Claude Juncker une lettre pour s'excuser du reportage diffusé sur sa chaîne.
En duplex sur le plateau de David Pujadas, Jean-Claude Juncker avait jugé ce reportage "strictement ridicule" et "superficiel". D'après l'AFP, Arlette Chabot a présenté "ses excuses" au premier ministre dans une lettre, et lui a demandé "de ne pas considérer ce reportage comme une nouvelle manifestation de « l'arrogance franco-française » mais plutôt comme une insuffisance professionnelle."
La directrice de l'information a ensuite relativisé la portée de son geste auprès de l'AFP, expliquant qu'il s'agissait de "calmer le jeu", en envoyant "une petite lettre", "comme on fait souvent dans ces cas-là".