Zemmour sur France 2 : Léa Salamé moins gênante qu'une table

Paul Aveline - - Médias traditionnels - Les énervé·es - 210 commentaires

La scène se déroule sur France 2, samedi 18 mars, vers minuit. Sur le plateau de Quelle époque !, le salon mondain hebdomadaire tenu par Léa Salamé, que des hommes : Patrick Bruel, Christophe Dechavanne, Michel Denisot et Pierre Lescure. Vient s'ajouter à la bande un cinquième : Éric Zemmour. "L'invité de minuit", comme l'appelle Salamé, relégué aux heures où l'on aime frissonner de ce qu'on va entendre, comme à la grande époque d'On est pas couché – même case, même chaîne –, quand chaque dimanche matin était consacré à relire ci et là les dernières sorties de Zemmour, alors "seulement" journaliste au Figaro

Zemmour s'installe, et il se retrouve tout de suite mis en difficulté par la table. Elle est trop loin pour lui. Patrick Bruel lui explique gentiment qu'il était assis là avant et qu'il a reculé la chaise. Dechavanne lui montre comment se positionner en appuyant ses pieds sur la barre qui soutient le meuble. Voilà le naufragé de 2022 (7 % au premier tour) désarçonné. Venir sur le service public quand on s'appelle Zemmour, c'est aller au combat. Ça commence avec le mobilier. Ensuite ? Ensuite, rien. Sinon une pluie d'éloges de Salamé, qui n'oublie pas de rappeler qu'ils se connaissent bien : "Vous revenez avec ce nouveau livre Je n'ai pas dit mon dernier mot, […] un livre intéressant où vous dites les choses, où vous dites des choses, où vous reconnaissez vos erreurs. Ça m'a étonnée, je ne vous cache pas que ça m'a étonnée parce que pour vous connaître un peu, en général vous n'admettez jamais que vous avez tort. […] Et c'est intéressant, c'est intéressant de voir en tout cas votre version des choses de ce qui fut la grande surprise, vous fûtes la plus grande surprise de cette campagne présidentielle, et sans doute la plus grosse défaite." À défaut d'une bonne table, Zemmour est au moins installé dans un fauteuil molletonné. 

Pendant les 48 (!) longues minutes que va durer l'interview, jamais Léa Salamé ne met en difficulté Zemmour. À peine ose-t-elle lui demander s'il n'est pas "à contretemps du peuple français", lui qui veut la retraite à 64 ans. La suite est un festival. Zemmour peut tranquillement – et à plusieurs reprises – expliquer que la France est "en danger de mort" et risque de devenir "un Liban en grand", sans être contredit. Il faut entendre Zemmour expliquer qu'il "lutte contre le grand remplacement", et Salamé répondre, l'air grave : "On va y revenir". Mais non, jamais elle n'y revient, contrairement au compte Twitter de l'émission qui fait ses choux gras des sorties zemmouriennes, comme l'a repéré le journaliste de Télérama Samuel Gontier. Ce qui intéresse Léa Salamé, ce sont les méchancetés que se balancent les responsables de l'extrême droite française. Zemmour déteste Ménard qui déteste Zemmour qui tire sur Le Pen qui le fusille en retour. Ça, on en parle longuement, très longuement. Comme on s'épanche longuement sur les paparazzades "subies" par Zemmour et Sarah Knafo, sa conseillère de l'ombre devenue sa compagne, relation étalée en une de Paris Match (provoquant une plainte du candidat). 

Heureusement, mesurons l'absurdité de ce qui va suivre, il y avait Patrick Bruel et Christophe Dechavanne assis à deux mètres de Zemmour. Ils sont les seuls à avoir poussé, un peu au moins, Zemmour dans ses retranchements. Les seuls à lui avoir rappelé ses propos sur le maréchal Pétain sauveur des Juifs, les seuls à avoir mis en doute ses révélations sur ses conversations privées avec Jean-Luc Mélenchon (Zemmour explique dans son livre comment le leader insoumis l'a aidé à gérer les médias pendant sa campagne), les seuls à avoir remis en question sérieusement sa stratégie politique. Les seuls, car à côté de lui, Denisot et Lescure, pourtant pas débutants dans l'exercice du débat mondain, se contentent de quelques moues gênées pendant l'entretien. 

Personne donc pour rappeler à Zemmour qu'avant l'invasion de l'Ukraine, il rêvait "d'un Poutine français", personne pour lui rappeler qui a théorisé le "grand remplacement" – Renaud Camus, condamné pour provocation à la haine raciale –, personne pour lui rappeler les accusations de violences sexuelles portées contre lui par huit femmes en 2022. Zemmour a beau jeu d'accuser le RN d'antisémitisme : personne ne lui rappelle que des néonazis étaient à son QG pour son inauguration (révélations d'Arrêt sur images), personne ne le questionne sur l'enquête de Libération parue il y a seulement une semaine sur les fréquentations les plus extrêmes de ses lieutenants à Lyon, personne non plus pour lui rappeler, la veille du 11e anniversaire de l'attentat meurtrier contre une école juive de Toulouse, qu'il avait reproché aux victimes juives de Mohamed Merah d'avoir choisi Israël pour y être inhumées. Pas un mot de tout ça. 

L'interview se conclut sur un jeu rigolo : devant des photos de personnalités, Zemmour doit dire en une phrase ce qu'il leur demanderait s'il les avait en face de lui. Pour Vincent Bolloré : "Je lui dirais que sous le général de Gaulle ou sous Pompidou, il aurait été loué pour mettre sa puissance économique au service de son pays." À ce moment, on se dit que Léa Salamé va réagir. Elle a commencé chez I-Télé, chaîne saignée à blanc par Bolloré pour être transformée en CNews. C'est sur sa chaîne, France 2, qu'a été diffusé un documentaire accablant – Prix Albert Londres en 2017 – sur le magnat breton, qui a valu des poursuites aux journalistes auteurs du crime de lèse-Bolloré. Non, rien. Peut-être fallait-il que quelqu'un rappelle à Salamé qu'elle est journaliste. Et qu'à ce titre, elle avait le devoir de faire mieux qu'une table pour déranger Éric Zemmour.


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