Zemmour et Nahel : qui est le délinquant multi-récidiviste ?
Pauline Bock - - Intox & infaux - Sur le gril - 121 commentairesTous les samedis, l'édito médias de Pauline Bock, envoyé la veille dans notre newsletter hebdomadaire gratuite, Aux petits oignons : abonnez-vous !
Évidemment. Évidemment que la radio bolloréenne Europe 1, dans sa matinale du 30 juin, trois jours après la mort du jeune Nahel, 17 ans, tué par un policier à Nanterre, et les nuits de révolte dans les cités de France en ayant découlé, allait donner la parole à l'indécence, incarnée sur cette Terre en la personne d'Éric Zemmour.
Discutant des violences de la nuit, le présentateur Dimitri Pavlenko se fait faussement naïf : "Vous semblez dire que c'est un prétexte, que ça n'a pas grand-chose à voir avec la mort du jeune Nahel ?" Après avoir rappelé sans conviction que "la mort d'un jeune homme c'est toujours triste, toujours affligeant", Zemmour déroule, avec une précision millimétrée, son discours de haine. "Même si manifestement ce jeune homme n'était pas un ange, comme a dit malencontreusement Kylian Mbappé : en tout cas l'ange avait des tâches sur ses ailes, puisqu'il avait, à 17 ans, déjà un casier judiciaire fort fourni." En deux phrases (et une attaque gratuite, au passage, pour Mbappé qui n'avait rien demandé), l'émotion déclarée à l'instant précédent est oubliée, la mémoire de Nahel piétinée, le message transparent : ni ange ni innocent, c'est donc qu'il méritait la mort.
Avant d'entrer en plateau, Zemmour a probablement lu les gros titres du Figaro du jour. Son ancien journal oppose, sur la même page, Nahel-qui-n'est-pas-un-ange ("Nahel, un «jeune sans histoire» dans son quartier, mais interpellé à douze reprises") et le policier qui l'a tué ("Un policier «très professionnel», qui avait des «valeurs» et toujours «respecté les règles»"). À moins qu'il n'ait lu les articles web de son ancienne chaîne d'info, CNews. La chaîne où il officiait jusqu'en 2021 écrit que Nahel "faisait l'objet, avant le drame, de 15 mentions au fichier des antécédents judiciaires", soit deux refus d'obtempérer en 2021, classés sans suite, une mesure éducative sur décision d'un juge pour enfants en janvier dernier. Et surtout, le fait sur lequel CNews – et d'autres médias – vont insister lourdement : "Le week-end dernier, il a déjà été interpellé et placé en garde à vue pour un refus d'obtempérer."
Dès les premières heures après le drame de mardi, le parquet de Nanterre a déclaré que le jeune homme avait des "antécédents judiciaires". Les chaînes d'information en continu n'ont eu de cesse de répéter à l'antenne que Nahel était "connu des services de police, notamment pour conduite sans permis et pour refus d'obtempérer" (BFMTV), ou encore qu'il "avait déjà commis un refus d'obtempérer samedi dernier" (CNews), a repéré Télérama. Hier soir, CNews, encore, interviewait un "policier qui a eu affaire à Nahel". Il le décrivait comme "un délinquant au comportement provocateur" et "coutumier des délits", montant encore d'un degré dans l'ignominie.
Mais son "casier judiciaire fort fourni", celui dont parle Éric Zemmour sur Europe 1, celui dont sa collègue d'extrême droite Charlotte d'Ornellas disait déjà sur CNews qu'il est "un casier déjà long" ? Nahel, comme l'a souligné l'une des avocat·es de sa famille, Me Jennifer Campla, était certes "déjà connu des services de police pour refus d'obtempérer et conduite sans permis, mais son casier judiciaire était vierge". Et "ce n'est pas la même chose", a-t-elle ajouté sur Franceinfo, "puisque dans le traitement d'antécédent judiciaire, il n'a pas été jugé pour quoi que ce soit". Elle poursuivait : "Je pense que dans ce type de quartier, c'est assez rare qu'un jeune n'ait jamais été contrôlé ou n'ait jamais été placé en garde à vue." Checknews concluait le 28 juin : "Si une sanction éducative figure donc bien sur le casier du jeune homme, aucun élément ne permet de parler de «casier déjà long» pour l'adolescent de 17 ans, comme l'a affirmé Charlotte d'Ornellas."
Il y a bien dans tout cela quelqu'un qui a un "casier déjà long" et "fort fourni" : il se nomme Éric Justin Léon Zemmour. C'est un multi-récidiviste, condamné deux fois par la justice française pour injures publiques à caractère raciste, en 2022 et 2023. Son casier judiciaire ne s'arrête pas là : il contient une condamnation pour "provocation à la discrimination raciale" (2011), une autre pour "provocation à la haine religieuse envers les musulmans" (2018). Très connu des magistrats français, qui ont également considéré en 2021 qu'il avait eu "des propos négationnistes", ce délinquant au comportement provocateur traîne enfin une condamnation pour "contrefaçon de droits d'auteur et atteinte au droit moral". Il est enfin accusé de contestation de crime contre l'humanité, ainsi que d'agressions sexuelles par 8 femmes, et le Canard enchaînérévélait l'an passé qu'il lui arrive même de sortir d'un très chic grand magasin parisien en "oubliant de payer" ses courses.
Lors d'un drame comme celui de la mort de Nahel, les médias français font rapidement appel aux quatre cavaliers de l'apocalypse journalistique, dont les plus connus sont Journalisme De Préfecture, Fait Non Sourcé et Éditorialiste Ignorant. Le quatrième, Indécence, revêt souvent le visage d'Éric Zemmour.