Pour le "Parisien" l'intelligence artificielle, c'est super!
Pauline Bock - - Numérique & datas - Sur le gril - 39 commentairesTous les samedis, l'édito médias de Pauline Bock envoyé dans notre newsletter hebdomadaire gratuite, Aux petits oignons : abonnez-vous !
Bonne année, bonne santé, il est temps de se mettre à ChatGPT ! Vous n'aurez aucun répit, ce 2 janvier, dans le Parisien : "Attention de ne pas passer à côté de cette révolution", prévient le quotidien. "Il est temps d'adopter l'intelligence artificielle", intime même l'article en page 2. C'est un ordre. L'intelligence artificielle serait, selon le Parisien, qui y consacre sa Une ainsi qu'une double page, "incontournable", "un tournant révolutionnaire et générationnel dans notre usage de l'informatique", "comme le firent la téléphonie mobile ou Internet il y a vingt ans" : "Ignorer son utilité serait une grave erreur dans nos vies privées et professionnelles."
Mais pourquoi donc ? Voyez-vous, selon le Parisien, l'IA offre "une galaxie d'applications pratiques dans nos vies". Un "président de cabinet de conseil en IA pour les entreprises du CAC40", donc quelqu'un de pas du tout biaisé en faveur de l'IA, l'assure : "C'est un puissant outil pour nous libérer du temps (...) Ceux qui n'osent pas franchir le pas seront vite en retard sur la majorité." Exemples concrets d'utilisation donnés dans l'article : "planifier un voyage, trouver une recette, écrire une lettre de résiliation". Trois choses que l'on pouvait déjà faire avec un bon vieux moteur de recherche. À peine le quotidien ose-t-il une critique de l'IA (créerait-elle une société à deux vitesses ?) que celle-ci est balayée par les interviewés pro-IA : "Il faut juste une prise de conscience pour débloquer son usage massif." Le seul argument de vente semble être le confort consumériste : "Imaginez des assistants personnalisés qui vous répondent au doigt et à l'œil et anticipent vos besoins."
Le journal poursuit dans le ridicule en proposant de tester certains outils d'IA, dont la génération d'une affiche pour les 80 ans du Parisien. Résultat désastreux : "Le logiciel a retenu la bonne idée d'imiter une Une du journal (mais avec un curieux accent sur le «e» de «Parisien»). Tout se gâte sur le texte car l'orthographe et les mots utilisés sont d'une grammaire inconnue." Les graphistes et relecteur·ices du journal ont dû apprécier. Pour l'usage "incontournable", on repassera.
Deux pleines pages et une Une pour faire la pub de l'IA, "incontournable" sans qu'on sache bien pourquoi, et sans une seule mise en garde sur les dangers, bien réels, de cette technologie en plein essor. Aucune mention, dans le Parisien, de l'incompatibilité totale de l'IA avec la lutte contre le réchauffement climatique : l'intelligence artificielle détruit activement la planète et consomme tant de CO2 qu'elle a mené, en 2024, les géants du net à abandonner leurs objectifs de neutralité carbone. Aucune mention non plus, dans le Parisien, du fait que des centaines de spécialistes du sujet, y compris des ancien·nes salarié·es d'OpenAI et autres entreprises d'IA, ont signé une lettre ouverte dans le New York Times alertant sur le "risque existentiel pour l'humanité" que pose l'intelligence artificielle. La philosophe étatsunienne Shannon Vallor alerte également sur les dangers pour notre humanité, notre jugement moral et notre capacité à raisonner logiquement que pose l'habitude de se reposer sur l'IA pour penser et créer à notre place. Des dangers bien illustrés, inconsciemment, par cet article du Parisien, qui ressemble un peu trop à la prose de ChatGPT - et épouse en tout cas son optimisme fade et creux.
Cet édito vous est garanti 100% sans IA. Bonne année 2025, qu'on vous souhaite pleine d'intelligence, mais bien réelle, celle-là.