Paris 2024 : boxe, intersexualité, hyperandrogénie et transphobie
Pauline Bock - - Sur le gril - 50 commentairesTous les samedis, l'édito médias de Pauline Bock, envoyé dans notre newsletter hebdomadaire gratuite, Aux petits oignons : abonnez-vous !
"L'athlète n'avait pas pu participer à la finale des derniers Mondiaux à cause de taux élevés de testostérone. Elle a cependant été autorisée à participer jeudi au tournoi olympique de Paris 2024. L'Italienne Angela Carini a abandonné après 45 secondes de combat."
C'est ainsi qu'un article de Franceinfo.fr résume "la polémique" sur la boxeuse algérienne Imane Khelif, qui a battu ce jeudi 1er août l'Italienne Angela Carini en huitième de finale dans la catégorie moins de 66kg aux Jeux olympiques de Paris 2024. La première version de l'article, depuis modifié, citait en longueur la réaction du politicien italien d'extrême droite Matteo Salvini qui s'indignait du fait que "la boxeuse trans algérienne" (sic) puisse participer aux JO - sans jamais préciser qu'il est absolument faux de qualifier Imane Khelif de "boxeuse trans" : elle n'est pas trans puisqu'elle est née femme, mais a simplement un taux élevé de testostérone (hyperandrogénie). Est-elle pour autant intersexe - née avec des caractéristiques sexuelles qui ne correspond pas aux "normes" binaires du masculin et du féminin ? Elle-même n'a pas clairement dit que oui. Rappelons que l'hyperandrogénie concerne environ 5% des femmes, et est le plus souvent causée par un syndrome des ovaires polykistiques.
Le Comité international olympique (CIO) a rapidement pris la défense d'Imane Khelif et rappelé que "toute personne a le droit de pratiquer un sport sans discrimination". La question consistant à se demander si le niveau naturellement trop élevé de testostérone empêcherait de participer aux JO s'est déjà posée lorsque la Fédération internationale d'athlétisme a décidé d'interdire à trois athlètes féminines de concourir pour la même raison ces dernières années. Une décision dénoncée par le Conseil des Nations unies aux droits de l’Homme, car créant "une discrimination, notamment envers les femmes intersexes et transgenres".
L'Association des Journalistes LGBT+ (AJL) a signalé à Franceinfo que "plusieurs passages dans cet article manquent de clarté et relaient des idées transphobes". Notamment, qu'il "aurait été judicieux de rappeler qu'Imane Khelif n'est pas une personne trans", ce que ne faisait pas cette première version de l'article, et que citer des tweets de transphobes notoires comme ceux de Matteo Salvini mais aussi de J.K. Rowling ne sert à rien sinon appuyer le sous-entendu selon lequel Khelif serait trans. "Vous auriez pu rappeler qu'il n'existe aucune preuve scientifique sur l'avantage des personnes trans dans les compétitions féminines et que les décisions des fédérations sportives de les exclure ou non ne font absolument pas l'unanimité."
Suite à l'indignation de l'AJL, Franceinfo a corrigé son article et ajouté une phrase qui précise : "Née femme, Imane Khelif est la cible d'accusations non fondées l'accusant d'être transgenre." Mais le mal est fait : en donnant de l'écho, et donc de la puissance, à ce qui n'était qu'une panique morale d'extrême droite (l'indice tenait au fait aux premières réactions politiques : celles de l'extrême droite italienne), les médias ont participé à cette "campagne de dénigrement". Certains médias, comme le Figaro, ont même sauté dedans à pieds joints, et n'hésitent pas à continuer à apporter de l'eau au moulin, comme avec cet article tapageur déclarant que "la controverse ne cesse d'enfler" donnant la parole, tant qu'à faire, à une ancienne adversaire battue par Imane Khelif, qui clame sans détour :"Effectivement, elle a un physique très masculin. Est-ce que des tests de genre ont été faits ? De testostérone ?" Elle sous-entend tranquillement qu'Imane Khelif mentirait sur son genre : "Dire qu'elle est simplement androgyne est trop facile. Je n'ai jamais vu des androgynes comme Imane ou d'autres filles."
Autre tribune, toujours dans le Figaro - par l'odeur de la panique morale alléché -, toujours au sujet d'Imane Khelif et cette fois signée Marguerite Stern, une militante "fémelliste" anti-trans qui a publié un brûlot transphobe avec sa collègue anti-trans Dora Moutot (dont ASI vous parlait en 2022). Stern, qui n'est spécialiste ni de la carrière de Khelif, de boxe, ni de sport, et encore moins de l'intersexuation, se permet d'écrire que "[la boxeuse taïwanaise] Lin Yu-ting et Imane Khelif sont-elles des femmes ? Non." Marguerite Stern est-elle journaliste ? Non. Mais ça n'empêche pas le Figaro de lui ouvrir ses pages pour qu'elle y décide du genre de gens qu'elle ne connaît pas, apparemment.
À quoi donc sert ce genre d'entretien, si ce n'est alimenter la controverse afin de mieux pouvoir écrire qu'elle "ne cesse d'enfler", et permettre à la panique morale de continuer à piétiner la dignité de minorités déjà bien trop médiatiquement discriminées ?