Marion Maréchal en (publi)reportage à Lampedusa pour BFMTV
Pauline Bock - - Déontologie - Sur le gril - 45 commentairesTous les samedis, l'édito médias de Pauline Bock, envoyé la veille dans notre newsletter hebdomadaire gratuite, Aux petits oignons : abonnez-vous !
"Rendez-vous sur BFMTV où je suis en duplex depuis Lampedusa." Ce n'est pas une reporter de la chaîne d'info qui tweete ce message (supprimé quelques heures plus tard sans explication, ndlr). Mais Marion Maréchal, personnalité politique d'extrême droite, vice-présidente du parti Reconquête d'Éric Zemmour, dont elle est tête de liste pour les élections européennes. La nièce de Marine Le Pen pose en photo : on la voit se tenir debout, face à une caméra, dans le port de Lampedusa, habillée d'un pantalon beige et d'une chemise blanche. Si l'on ne connaît pas son visage, on la croirait journaliste en reportage, envoyée spéciale sur place par la chaîne de télévision : elle tient un micro à la bonnette bleue estampillée BFMTV et regarde droit vers l'objectif.
Ce micro BFMTV, nombreuses sont les personnalités qui le tiennent face caméra lorsqu'elles sont interviewées par la chaîne en "duplex", c'est-à-dire filmées à distance et répondant, en direct, aux questions des journalistes sur le plateau. Une pratique fortement déconseillée dans la profession : on nous l'apprend en école de journalisme comme sur le terrain, donner son micro à la personne qu'on interviewe au lieu de simplement lui tendre, c'est lui céder le contrôle. Marion Maréchal l'a bien compris. En brandissant ce micro, en posant face caméra habillée comme une envoyée spéciale, elle floute sciemment les limites.
Marion Maréchal est sur l'île italienne pour parler de la situation migratoire. Lampedusa est la première escale pour les migrant·es qui traversent la Méditerranée. Depuis quelques jours, ils et elles sont des milliers à débarquer, en nombre équivalent à la population locale de 7 000 habitant·es. D'après la directrice générale de l'association France terre d'asile, c'est dû à l'évolution des routes migratoires, qui passent désormais par Sfax, en Tunisie, dont est proche l'île de Lampedusa.
Mais voilà, malgré sa tenue de reporter sortie tout droit d'une BD de Hergé, Marion Maréchal n'est pas Tintin à Lampedusa. Sa venue est politique et son discours aussi : "Les personnes que vous voyez aujourd'hui derrière moi", dit-elle en reprenant les codes des journalistes de BFMTV habitué·es à décrire la scène sur laquelle ils et elles se trouvent, "elles ne vont pas rester en Italie : dans une semaine, elles seront, pour une partie, en France". Et hop : mi-descriptif, mi-politique rance, c'est le duplex BFMTV à la sauce Marion Maréchal.
En plateau, Bruce Toussaint maintient ce flou artistique en la questionnant sur "ce qu'elle a vu sur place", sur la "réalité humanitaire" (questions que l'on poserait à une reporter). Change-t-elle son regard sur les migrants (question posée à la vice-présidente du parti d'un homme condamné moult fois pour incitation à la haine raciale) ? Bien sûr que non : ce qu'a vu la politique-en-reportage sans les regarder, ces milliers de gens, "confirme ce qu'[elle croit]", à savoir que "cette situation est le résultat d'une politique migratoire complètement déraisonnable". Toussaint tente faiblement de la faire réagir sur les "circonstances particulières" des migrant·es, qui fuient la catastrophe en Libye. Puis se rappelle qu'il s'agirait de lui poser des questions quelque peu journalistiques : "Pardon de vous dire ça, mais est-ce qu'il n'y a pas quelque chose d'un peu indécent dans ce que vous dites ?"
Ah ! Tout de même ! Malheureusement, c'est trop tard : peu importe sa réponse, Marion Maréchal joue les reporter en duplex à l'antenne, et c'est dans un micro estampillé BFMTV qu'elle déverse son discours de haine. Sous vos yeux ébahis, elle et BFMTV viennent d'inventer le publireportage politique.