Houellebecq, LE "grand écrivain français" par excellence ? Ah bon ?
Pauline Bock - - Médias traditionnels - Sur le gril - 39 commentairesTous les samedis, l'édito médias de Pauline Bock, envoyé la veille dans notre newsletter hebdomadaire gratuite, Aux petits oignons : abonnez-vous !
"Si on demande un peu partout dans le monde qui incarne aujourd'hui le «grand écrivain français», eh bien la réponse serait Michel Houellebecq." Cette affirmation, c'est celle de Guillaume Erner, dans sa Matinale de France Culture jeudi 25 mai. Et c'est parce que le même Houellebecq "publie un petit livre de 103 pages, Quelques mois dans ma vie, aux éditions Flammarion" qu'Erner a décidé ce jour de discuter de celui qu'il couronne donc "grand écrivain français", invitant pour ce faire les journalistes Elisabeth Philippe et François Krug ainsi que le directeur de recherche au CNRS Alexandre Gefen.
Guillaume Erner est-il allé "un peu partout dans le monde" pour demander aux gens, à Londres, à New York, à Kinshasa, Kuala Lumpur, Pékin ou Santiago, qui est aujourd'hui le "grand écrivain français" ? Il ne le dit jamais, nous nous permettrons donc d'en douter. Dans la version en ligne, France Culture se fait un (tout petit) peu plus prudente : "la réponse serait sans doute Michel Houellebecq", peut-on lire sur le site. Mais est-ce vrai, alors que Houellebecq a récemment fait parler de lui pour avoir tourné un film pornographique (il clame avoir été victime d'un piège), pour avoir déclaré au JDD à propos de l'affaire Depardieu que "les femmes mentent, tout simplement" et, surtout, pour ses propos dans le magazine Front Populaire d'une rare violence à l'encontre de la communauté musulmane de France, qui lui a valu des menaces de poursuites de la Grande mosquée comme nous vous le racontions en janvier ? La littérature française est-elle vraiment représentée à l'international par un homme plus connu désormais pour ses sorties islamophobes et misogynes que pour son oeuvre littéraire (infusée, par ailleurs, de ces mêmes idées rances) ?
Avec mes petits moyens, et sans prétendre à une rigueur scientifique, j'ai tenté de faire ce que n'a pas fait Guillaume Erner : demander aux gens "un peu partout dans le monde" qui, aujourd'hui, est le "grand écrivain français"en sondant, en anglais, des gens sur Twitter - et sans mentionner Houellebecq. Son nom a bien été avancé, mais pas davantage, et même un peu moins souvent, que celui d'Annie Ernaux. Autres noms cités : Pierre Lemaître, Leïla Slimani, Patrick Modiano, Maryse Condé. "Certainement pas Michel Houellebecq", a répondu une journaliste du New York Times qui est portugo-franco-irlando-japonaise. Un chercheur anglais a quant à lui considéré que le "grand écrivain français" actuel est "probablement Annie Ernaux, depuis le Nobel. Avant ça – Houellebecq ? Leïla Slimani pendant un moment en 2018/19 ?" Le consensus qui se dégage des réponses reçues semble être que Houellebecq mérite mention, mais que son aura s'est clairement ternie, que sa gloire est passée ; qu'il a peut-être été, mais n'est décidément plus, le "grand écrivain français".
Un sentiment que l'on retrouve aussi dans la presse anglophone. En 2017, le New York Times écrivait que "Michel Houellebecq est communément cité comme le plus grand écrivain français de fiction". Mais c'était dans un portrait d'Emmanuel Carrère, que l'article élevait déjà au même rang que Houellebecq : "Carrère, dont la prose n'est pas moins remarquable dans sa pureté et dont la vision n'est pas moins vaste, est vu comme le plus grand écrivain de non-fiction français." Bien plus récemment, le 2 mai dernier, le même magazine offrait une vitrine similaire à Annie Ernaux, sous la plume de la romancière britannique Rachel Cusk, qui revenait sur le Nobel de littérature reçu par l'autrice en 2022. Cusk relatait la "jalousie" envers Ernaux dont avait fait preuve "la vieille garde littéraire masculine" et concluait qu'"une telle agressivité" envers le Nobel d'Ernaux "était simplement la preuve que le nerf de la vérité avait été touché".
L'année dernière, notre rédactrice en chef d'alors, Emmanuelle Walter, enquêtait sur "la possibilité d'une idylle" entre Houellebecq et le Monde. Le journal, qui initiait alors une réconciliation avec l'auteur, l'adoubait comme "l'écrivain français le plus lu, le plus traduit, le plus commenté dans le monde". Mais Emmanuelle Walter décrivait aussi des critiques littéraires "s'écharpant" sur Houellebecq, jugé tour à tour "humaniste" ou "fascisant". "Houellebecq penserait au Nobel de littérature", écrivait alors Emmanuelle. Il ne l'a pas eu. Et il semble ne pas l'avoir digéré. Depuis, dépité, l'auteur d'Anéantir n'a eu de cesse de piétiner ce qui faisait sa réputation, en France et au-delà. Si les médias français lui passeront peut-être ce caprice (la presse de droite y paraît plus que disposée), les médias internationaux semblent, eux, être passés à autre chose.
Pour résumer plus précisément le contexte de publication de Quelques mois dans ma vie, Guillaume Erner sur France Culture aurait pu déclarer : "Si on avait demandé un peu partout dans le monde, il y a encore peu de temps, qui incarnait le «grand écrivain français», eh bien la réponse aurait été Michel Houellebecq."