France-Israël, "dans un contexte que nous connaissons tous"
Robin Andraca - - Médias traditionnels - Sur le gril - 30 commentairesTous les samedis, l'édito médias de Pauline Bock, cette semaine signé Robin Andraca, envoyé dans notre newsletter hebdomadaire gratuite, Aux petits oignons : abonnez-vous !
Hier soir, jeudi 14 novembre, je me suis mis devant TF1 pour voir l'avant-match de France-Israël. Je n'avais pas envie, pourtant, de regarder du foot. Je n'en regarde plus depuis des mois, sans savoir exactement pourquoi. Mais j'étais quand même devant TF1, hier, aux alentours de 20h45, pour entendre ce qu'allaient dire les deux commentateurs du soir, Grégoire Margotton et Bixente Lizarazu, pour présenter ce match pas comme les autres. 16 000 spectateurs à peine dans le stade (sur 80 000 places), 4 000 policiers déployés pour sécuriser l'évènement, et un adversaire - Israël - dont l'armée bombarde sans relâche et depuis plus d'un an Gaza et ses habitants. Les chiffres : depuis les attaques terroristes du 7-Octobre 2023, journée sanglante au cours de laquelle près de 1200 personnes ont été tuées ou enlevées par le Hamas, au moins 34 500 personnes ont été tuées à Gaza, en grande majorité des femmes et des enfants.
Alors forcément, Grégoire et Bixente, ils allaient devoir en dire un peu plus. Impossible hier de se concentrer sur la titularisation de Randal Kolo-Muani, à la pointe de l'attaque des Bleus. Ils allaient devoir faire un petit commentaire. Je me doutais bien que ce ne serait pas spectaculaire. J'avais parié sur "un match disputé dans un contexte politique compliqué". Je n'étais pas loin. Au moment de prendre l'antenne, et avant de détailler la composition des deux équipes, Grégoire Margotton a dit ceci : "Bonsoir à toutes, bonsoir à tous, bienvenue au Stade de France. Les Bleus retrouvent Israël, pour la cinquième journée de la ligue des Nations. Moins de 20 000 spectateurs dans les tribunes dans un contexte que nous connaissons tous".
"Un contexte que nous connaissons tous". C'est habile comme façonde présenter les choses. Cette façon de dire, on est tous au courant et puis bon, on est là pour regarder du foot, pas pour faire de la politique. Emmanuel Macron, Nicolas Sarkozy et François Hollande sont en tribune présidentielle, mais on a besoin d'un nul pour se qualifier en quarts de finale de la ligue des Nations. C'est habile, factuellement juste, limite un peu pudique. Mais c'est aussi très insuffisant. Certes, les gens savent, connaissent le contexte. Ils le connaissent si bien qu'ils ne sont pas venus au stade jeudi soir. Par peur d'éventuels débordements, ou pour protester contre la venue de l'équipe de foot israélienne ? Impossible de le savoir, mais ils étaient tout de même 4,95 millions devant leur télé hier soir, soit 24% des télespectateurs présents devant leur poste ce soir-là. Loin devant Cash Investigation, diffusée sur France 2, qui a réuni 1 693 000 personnes.
Alors forcément, il faut faire attention à ce que l'on dit. Je ne doute pas d'ailleurs que Grégoire Margotton a pesé et sous-pesé mille fois la phrase "un contexte que nous connaissons tous", avant de décider que ce serait elle qu'il prononcerait à l'antenne. Il en faut du travail, du temps, de la réflexion, pour parvenir à la solution la plus molle possible, pour dévitaliser complètement une formule de tout sous-entendu politique. On imagine, en effet, ce qu'il se serait passé, si Grégoire Margotton avait simplement rappelé les faits, dit les chiffres, rappelés au début de cet édito. Le nombre de morts le 7-Octobre. Le nombre de morts à Gaza depuis, en représailles. Le pourcentage de civils. Voire même ce rapport d'un comité spécial de l'ONU, rendu public ce même 14 novembre, et qui affirme que les méthodes de guerre employées par Israël dans la bande de Gaza "correspondent aux caractéristiques d'un génocide". L'organisme met en avant, pour justifier son constat, "les pertes civiles massives et les conditions imposées aux Palestiniens sur place mettant leur vie en danger intentionnellement". L'information, de taille, reprise dans le monde entier, n'a évidemment pas été mentionnée par Grégoire Margotton, et ne figure pas non plus au sommaire du 20h de TF1, diffusé juste avant le match. Disputé "dans un contexte que nous connaissons tous".