Erner face à Albanese : retour sur une interview "radicale"

Pauline Bock - - Sur le gril - 14 commentaires

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Il est 7 heures 42 ce mardi 18 novembre lorsque Guillaume Erner, le présentateur des Matins de France Culture, accueille son invitée du jour. "Je reçois ce matin une voix pro-palestinienne majeure", déclare Erner. S'agirait-il de la députée franco-palestinienne Rima Hassan ? D'une figure militante internationale ayant embarqué sur l'une des flottilles pour Gaza, telles Greta Thunberg ou Adèle Haenel ? Ah, non : "Francesca Albanese, bonjour", poursuit-il. "Vous êtes rapporteuse spéciale de l'ONU sur les droits humains dans les territoires palestiniens. (...) Vous êtes l'une des personnes qui, probablement, s'est le plus exprimée pour la Palestine." Après avoir souligné que quelqu'un comme "Aymeric Caron, député LFI" l'a décrite comme "l'une des personnes les plus importantes du siècle", Erner propose à ses auditeur·ices de "se faire une opinion sur vous, Francesca Albanese." On espérait pourtant que cette interview permettrait peut-être d'entendre la rapporteuse sur son travail, voire les droits humains en Palestine. Espoir déçu.

Ce n'est pas tous les jours que le service public français peut se targuer d'interviewer une rapporteuse spéciale de l'ONU, pourtant c'est sur le fait qu'Albanese serait une "voix pro-palestinienne majeure" qu'a choisi d'insister Erner. Un qualificatif que la juriste de formation refuse immédiatement : "Je ne suis pas du tout une voix pro-palestinienne… Je suis pro-droits humains, et c'est ce que je fais en tant que rapporteuse spéciale", dit-elle posément.

Erner poursuit sur sa lancée atlantiste : les puissances occidentales ont négocié un cessez-le-feu, alors, "d'un point de vue humanitaire, est-ce qu'on ne peut pas déjà se réjouir du cessez-le-feu tel qu'il est adopté aujourd'hui ?" Lorsqu'Albanese explique que "le cessez-le-feu n'a pas été un cessez-le-feu", puisque s'il a "ralenti les bombardements", il y a tout de même eu "presque 300 personnes tuées depuis" et qu'on "a imposé un mot d'ordre pour dire «il y a la paix», mais [qu']il n'y a pas de paix", Erner choisit de citer... Donald Trump. "Il y a une paix dans la mesure où Trump, vous pouvez le croire ou non, a appelé à ce comité de la paix pour que les morts cessent", dit-il.

Arrive ensuite l'avalanche de questions rhétoriques dont les médias français ont désormais le secret depuis le 7 octobre 2023. Peu importe que l'on s'adresse à une rapporteuse de l'ONU dont la mission est, littéralement, la défense des droits humains. Il faut s'assurer qu'elle est du bon côté : "Est-ce que vous regrettez que le Hamas n'ait pas libéré les otages plus tôt ?" Puis : "Vous condamnez la prise d'otages ?" Et bien sûr, le clou du spectacle : "Francesca Albanese, pour être sûr de ce que vous dites : vous condamnez le Hamas ?" "Bien sûr", répond Francesca Albanese, elle "condamne la prise d'otages, otages israéliens comme otages palestiniens", et il "n'y a rien à soutenir dans un mouvement religieux [le Hamas] qui s'impose sur les droits humains". Attention, exclu' France Culture : l'ONU condamne le Hamas !

Erner continue, en parlant tantôt du "discours radical" de son invitée, de son "attitude radicale", des "expressions radicales" qu'elle utiliserait, dont il "ne va pas faire la liste", sous-entendu : car elles sont trop nombreuses. Pour le journaliste de France Cuture - qui se décrivait lui-même, au micro d'ASI l'an dernier, comme un "judéobsédé" et dont le tropisme pro-israélien est bien connu - Francesca Albanese est ra-di-ca-le, c'est à dire qu'elle... parle de régime d'apartheid en Israël. Elle en explique posément la définition : "En Israël, il y a deux systèmes légaux : la loi civile pour les colons, qui ne devraient pas être là, et la loi militaire pour les Palestiniens", dit-elle. "C'est le backbone [la colonne vertébrale, ndlr] de l'apartheid." Francesca Albanese doit même fact-checker Erner lorsqu'il lui demande pourquoi le Hamas n'a pas relâché les otages israéliens plus tôt : "Mais pourquoi vous ne faites pas référence à la partie de l'histoire qui manque ? Il y a eu des propositions en provenance du Hamas, à plusieurs reprises, de relâcher les otages si Israël s'engageait à ne pas déclencher une guerre", rappelle-t-elle. "Netanyahou n'avait pas intérêt à arrêter cette guerre génocidaire."

Erner, que l'on sent tendu, va jusqu'à déclarer : "Vous avez pu donner l'impression, Francesca Albanese, que vous minimisiez l'antisémitisme." Elle réplique tranquilllement que ses propos "ne concernent pas ce qu'Israël est, mais ce qu'Israël fait", et qu'elle "souhaite uniquement qu'Israël se conforme au droit international".

Quel acharnement ! Quelle ténacité ! Vivement la prochaine interview de Guillaume Erner avec un·e personnalité d'extrême droite, un grand patron ou un·e membre du gouvernement : avec son nouveau style d'interview obstinée, Erner saura les cuisiner comme il se doit ! À moins qu'il ne s'agisse d'un biais personnel à l'encontre de certain·es invité·es engagé·es ? Mais non, voyons : impossible, surtout de la part d'un journaliste du service public !

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