RN : quand les plateaux préparent au pire
Pauline Bock - - Sur le gril - 11 commentairesTous les samedis, l'édito médias de Pauline Bock, envoyé dans notre newsletter hebdomadaire gratuite, Aux petits oignons : abonnez-vous !
Comment ça va, vous ? Je me permets de demander, parce qu'après une semaine pareille, on mérite tous et toutes un peu de repos. J'écrirais bien "répit", car on le mérite aussi ; malheureusement, c'est moins probable. Mais si certain·es pouvaient profiter du week-end pour réfléchir aux conséquences de leurs propos tenus en plateaux - je ne vise personne, suivez mon regard vers l'ensemble des chaînes d'info en continu...
C'est une semaine éprouvante, délirante, même, que viennent de vivre les médias français, alors que l'Assemblée nationale est dissoute, que l'extrême droite, parée de sa victoire aux européennes, est aux portes du pouvoir, que le camp présidentiel recherche désespérément un semblant de crédibilité politique, que la droite se fracture et que la gauche parvient, dans un moment à la hauteur de l'histoire, à s'unir. Et nombre des chaînes d'info ont sciemment participé à ce délire. Les médias Bolloré, bien sûr : Pascal Praud, sur CNews, n'a pas perdu une seconde avant de militer en faveur d'une "union des droites" orchestrée par Éric Ciotti et son grand patron ; Cyril Hanouna, sur C8, a organisé un vote pour dénoncer le "problème" LFI et empêcher toute union de la gauche. Le patron du Figaro s'est empressé d'annoncer que LR devait s'allier avec le RN.
Jeudi soir, le délire des médias Bolloré en campagne - car ils ne se cachent plus - est allé jusqu'à la suggestion de Cyril Hanouna à Sarah Knafo, cadre Reconquête et compagne d'Éric Zemmour, d'appeler en direct Jordan Bardella afin de négocier une alliance des extrême droites. "On appelle Jordan Bardella, qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ! s'exclame Hanouna tandis que son téléphone sonne. S'il y a d'autres gens qui veulent passer des coups de fil, n'hésitez pas !" Bardella ne répond pas : Knafo, morte de rire, laisse un message. Pourquoi faire semblant d'être neutre, quand on peut orchestrer, en direct, le dialogue entre les candidats, souhaité par le patron ?
C8 a l'habitude de fouler la décence au pied. Cette séquence interpelle, mais hors galaxie Bolloré aussi, les limites ont été franchies allègrement, cette semaine, avec le sourire, presque avec légèreté. Jeudi soir, tandis qu'Hanouna se faisait négociateur-en-chef d'un potentiel futur gouvernement d'extrême droite, LCI accueillait "deux France face à face" dans une "grande confrontation" censée faire se parler les pro- et les anti-RN. Un concept très risqué légitimant l'extrême droite comme acteur normalisé du débat démocratique, mais qui s'est largement répandu dans les médias français ces derniers mois. Concept qui s'est révélé catastrophique et irresponsable lorsque - il fallait s'y attendre - l'un des pro-RN, qui n'est autre que Georges Matharan, YouTubeur et ancien producteur de contenus pour le compte vidéo de Valeurs actuelles, VA+, a déclaré sans sourciller que "Ben oui !", il vaut mieux tuer quelqu'un qui refuse d'obtempérer à un ordre policier. Une référence abjecte à la mort du jeune Nahel, tué par la police à Nanterre l'an dernier. Le présentateur David Pujadas tente un faiblard "Georges Matharan, je pense que les mots dépassent votre pensée... Là, on n'est plus dans l'opinion..." mais il ne parvient pas à cacher son sourire en coin, semblant jubiler de ce moment de télé. Et Matharan persiste et signe.
C'est là toute la folie de tendre tranquillement le micro aux représentants de l'extrême droite : leurs mots ne dépassent jamais leurs pensées, ou alors très, très rarement. Leurs mots sont leurs pensées : clairs, précis, et terrifiants. Les laisser dérouler leur discours de haine avant de se contenter d'un pauvre "Non, enfin, on ne peut pas dire ça", c'est déjà abdiquer. C'est ce qu'a fait LCI jeudi. La chaîne avait déjà fait montre d'une ignorance crasse quant à la réalité de la menace fasciste le 11 juin, lorsque le présentateur Christophe Moulin s'écriait "Ah bon ?!" face à la députée LFI Sarah Legrain, qui rappelait que le Front national, ancêtre du RN, a été co-fondé par un Waffen-SS. Ah bon, l'extrême droite serait vraiment d'extrême droite ?! Mais ça alors ! Christophe Moulin, 57 ans, est diplômé de la Sorbonne, travaille comme journaliste depuis 1994 et est membre de la direction de l'information de LCI. Est-il sincère dans sa surprise, témoignant ainsi d'une lacune gigantesque en histoire politique ? Ou feint-il une naïveté irresponsable ?
Il s'agirait peut-être, sur les plateaux des chaînes d'info françaises, de prendre la mesure du désastre en cours. Un désastre en partie causé, et, cette semaine, accéléré, par l'inculture et l'inconséquence des pitres qui y passent leurs journées.