CNews : Delphine Ernotte mesure-t-elle vraiment l'ampleur de la tâche ?

Pauline Bock - - Déontologie - Sur le gril - 18 commentaires

Tous les samedis, l'édito médias de Pauline Bock envoyé dans notre newsletter hebdomadaire gratuite, Aux petits oignons : abonnez-vous !

Vous lisez Arrêt sur images, ou en tout cas sa newsletter, il y a donc très peu de chances pour que l'affirmation selon laquelle "la galaxie médiatique de Vincent Bolloré veut la peau de l'audiovisuel public" soit un scoop pour vous. Des attaques de Cyril Hanouna envers Complément d'enquête aux éditos de Pascal Praud et plateaux d'éditorialistes sur CNews ciblant spécifiquement des journalistes et des chaînes du service public comme France Inter (mais aussi contre des universitaires), cela fait désormais des années que la sphère bolloréenne s'acharne sur le service public, jugé "d'extrême gauche" simplement parce qu'il n'est pas d'extrême droite.

Et voilà donc que le 17 septembre 2025, les présidentes de France Télévisions et Radio France, Delphine Ernotte et Sibyle Veil, ont réalisé qu'il y avait un problème. Dans une lettre commune à l'Arcom, elles ont condamné "la campagne de dénigrement systématique et quotidienne (…) sur la chaîne de télévision CNews et la station de radio Europe 1" qui sévit contre l'audiovisuel public, suite à l'affaire des vidéos volées des journalistes Thomas Legrand et Patrick Cohen. Dans un entretien accordé au Monde, Delphine Ernotte, seule cette fois-ci, va plus loin. Attention, les propos sont d'une violence extrême : "Il faut admettre que CNews est un média d'opinion. Qu'ils assument d'être une chaîne d'extrême droite !" Ah, ben non finalement, rien de très violent, c'est juste un fait : CNews est d'extrême droite. La chaîne a longtemps accueilli Éric Zemmour et poursuivi cette collaboration alors qu'il enchaînait les propos condamnés depuis pour incitation à la haine raciale, et était candidat à la présidentielle de 2022 ; la chaîne qui a ouvertement fait campagne pour le RN aux législatives anticipées de 2024 ; la chaîne qui diffuse des programmes anti-avortement, dont les éditorialistes défendent la thèse du "grand remplacement" et comparent les migrants à des punaises de lit ; la chaîne dont la ligne éditoriale se résume à parler d'immigration et d'insécurité à longueur de journée ; cette chaîne est d'extrême droite. Il était temps de s'en rendre compte ! Merci, Delphine Ernotte !

Trève de plaisanteries, car il n'y a pas vraiment de quoi rire. CNews, et toute la sphère Bolloré, n'"assumeront" jamais "d'être d'extrême droite" : ils passent leur temps à répéter que l'extrême droite "n'existe pas" et à répéter que le vrai fascisme, c'est l'antifascisme. Pour un avant-goût du résultat de ces propos, regardez vers les États-Unis (il vous suffit pour cela de visionner l'émission de la semaine, plus bas). Que le service public réalise qu'il est en danger existentiel est salutaire, mais il est bien tard. Ernotte mesure-t-elle vraiment l'ampleur de la tâche ? Ou plutôt, si elle saisit enfin, dans son interview au Monde, que "l'urgence est de donner des garanties sur [l']indépendance" de l'audiovisuel public, pourquoi ne l'a-t-elle pas mesuré plus tôt ? Si elle assure désormais Patrick Cohen de son "soutien total", ce soutien n'aurait-il pas dû aller également aux équipes de Complément d'enquête lorsqu'Hanouna attaquait leur travail à répétition ? Puis la ministre de la Culture (désormais démissionnaire) Rachida Dati elle-même s'y est mise, allant jusqu'à menacer... Patrick Cohen, justement ? Et quant à Radio France, pourquoi n'avoir pas dénoncé plus tôt les "campagnes de dénigrement" des médias Bolloré lorsqu'elles ciblaient d'autres journalistes ayant travaillé pour la Maison ronde, par exemple notre journaliste Nassira El Moaddem, qui avait eu droit à des menaces de mort ? Les journalistes de Complément d'enquête ont à nouveau été pris à partie nommément par Pascal Praud sur CNews hier. Le même Praud qui ose prétendre qu'en disant que CNews est d'extrême droite, Ernotte "met une cible sur la vie" des journalistes de la chaîne.

Il est bien tard pour prendre conscience de la double menace qui pèse sur l'ensemble de l'audiovisuel public (on n'oublie pas que celui-ci inclut également France Médias Monde et l'INA). D'un côté, le projet de "holding" défendu par Dati met en péril son financement, et donc son indépendance ; de l'autre, l'extrême droite en a fait une cible de choix. Mais mieux vaut tard que jamais. Là où Ernotte soutenait jusqu'à cet été le projet de "holding", les présidentes de Radio France et France Télévisions sont désormais unies dans leur volonté de demander davantage d'indépendance pour le service public, et dans leur condamnation de la sphère médiatique d'extrême droite de Vincent Bolloré. Maintenant qu'on est d'accord sur le constat, il faut agir, et vite.

Lire sur arretsurimages.net.