BFMTV, Israël-Palestine, Rima Hassan et "les deux côtés"
Pauline Bock - - Déontologie - Sur le gril - 20 commentairesTous les samedis, l'édito médias de Pauline Bock, envoyé dans notre newsletter hebdomadaire gratuite, Aux petits oignons : abonnez-vous !
"Votre chaîne fait du travail excellent par rapport à la présentation du conflit, des deux côtés." Ces félicitations, adressées à Benjamin Duhamel, éditorialiste politique de BFMTV, ne proviennent pas de l'actionnaire Rodolphe Saadé, ou du directeur de BFM Fabien Namias, mais du porte-parole de l'armée israélienne Olivier Rafowicz. ASI questionnait son omniprésence médiatique la semaine dernière, juste avant qu'il ne soit l'un des invités de l'émission spéciale de la chaîne, "Un an de guerre : BFM à Tel-Aviv".
La liste des invitées est longue, et inclut un ancien ambassadeur d'Israël en France (l'historien et diplomate Elie Barnavi), la députée des Français établis en Israël (Caroline Yadan), un "député israélien du Likoud, proche de Benjamin Netanyahu" (Boaz Bismuth), et un ex-porte-parole de l'armée israélienne (Julien Bahloul), en plus, donc, d'Olivier Rafowicz, que Benjamin Duhamel continue d'appeler "colonel", bien qu'il ne soit pas colonel de l'armée française. Pour le côté palestinien : "Jean-Marc Liling, avocat franco-israélien et activiste pour le dialogue israélo-palestinien", "Clémence Dibout, grand reporter, envoyée spéciale de BFMTV à Bethléem (Cisjordanie)", et puis c'est tout. Pour les "deux côtés", c'est OK : on n'a pas dit "deux côtés traités à égalité", après tout, et l'émission spéciale s'appelle "BFM à Tel Aviv", pas "BFM à Tel Aviv et Ramallah".
"Votre chaîne fait du travail excellent par rapport à la présentation du conflit, des deux côtés." Benjamin Duhamel sourit, souffle "oui" à son micro, tandis que Rafowicz enchaîne sur "l'émotion générale". Il est content, Benjamin, qu'on lui dise qu'il fasse du bon boulot, "des deux côtés". Sur les réseaux sociaux, la phrase, qui a énormément choqué, a été tronquée de ces "deux côtés". Bien sûr, ils changent un peu le sens des félicitations. Le porte-parole de l'armée israélienne félicite certes une chaîne d'info pour son travail, mais attention, son travail "des deux côtés".
Alors ça va, ouf, Benjamin Duhamel peut souffler. On a bien fait le taff, on a bien pensé à inviter un "activiste pour le dialogue israélo-palestinien" et notre envoyée spéciale à Bethléhem (pas à Hebron, faut pas pousser non plus, et pas à Gaza, évidemment, puisqu'on ne peut plus y aller, ce que dénonce d'ailleurs la SDJ de BFM). On couvre bien les deux côtés, et ça fait plaisir d'entendre quelqu'un le reconnaître. Même si ce quelqu'un est un propagandiste de métier. On ne va pas trop s'interroger là-dessus, ni trop se demander si Benjamin Duhamel laisserait ainsi couler, si un propagandiste d'un autre "côté" dans un autre "conflit" (tiens, par exemple, l'armée russe) complimentait ainsi le travail de sa chaîne, pendant une émission spéciale depuis la capitale d'un des deux "côtés" (tiens, par exemple, Moscou).
Quelques jours plus tard, l'eurodéputée franco-palestinienne Rima Hassan est invitée sur BFMTV. Elle explique vouloir faire "une petite parenthèse" avant de répondre à la question d'Olivier Truchot (qui lui demande si elle "condamne" le fait que Macron a été sifflé au Crif). Et déclare : "Je veux simplement dénoncer le fait que vous avez été félicités par Olivier Rafowicz, qui est un porte-parole de l'armée israélienne, une armée génocidaire, pour votre ligne éditoriale. Et c'est très important pour moi de dénoncer ça, parce que ça dit beaucoup de ce qu'est la ligne éditoriale qui est la vôtre sur le sujet. Et j'espère que vous vous rendez compte que vous aurez, tôt ou tard, des comptes à rendre en tant que média. (...) Admettez que c'est inédit, un média félicité par le porte-parole d'une armée qui, par ailleurs, est pointée du doigt par toute la communauté internationale."
À Truchot qui s'indigne sur l'expression malheureuse de "comptes à rendre", et s'exclame qu'on "va arrêter l'interview", elle répond : "Les médias sont censés informer de façon neutre. C'est comme si vous aviez le Hamas, demain, qui vous félicitait. C'est très problématique, admettez-le." BFMTV a vécu cette phrase comme un choc. "Vous mettez en cause le travail de toute une rédaction, c'est inacceptable. On va arrêter ici, merci beaucoup, au revoir madame !"s'exclame Truchot. La chaîne s'est ensuite fendue d'un communiqué : "Invitée ce mardi sur BFMTV, la députée européenne Rima Hassan a mis en cause le travail de la rédaction en affirmant sur notre antenne que BFMTV avait été félicitée par Olivier Rafowicz, porte-parole de l’armée israélienne. (...) BFMTV tient à rappeler le travail rigoureux, impartial et équilibré de sa rédaction, dont témoigne le déploiement sur le terrain de sept équipes en Israël et au Liban, et la diffusion vendredi et dimanche soir d’un document exceptionnel réalisé par BFMTV grâce à des journalistes palestiniens à Gaza." Et recommande son reportage Ligne rouge sur le 7-Octobre.
Le travail de la rédaction de BFM ne se résume effectivement pas à l'absence de relance de Benjamin Duhamel face au compliment d'un propagandiste. Retirez la première phrase, et c'est exactement le communiqué qu'aurait dû publier BFMTV. Mais pas après l'interview de Rima Hassan. Après celle d'Olivier Rafowicz.