Bayrou et Bétharam : "C'était menti". Mais pas pour toute la presse.

Alizée Vincent - - Sur le gril - 10 commentaires

Tous les samedis, l'édito médias de Pauline Bock, cette semaine signé Alizée Vincent, envoyé dans notre newsletter hebdomadaire gratuite, Aux petits oignons : abonnez-vous !

Cette semaine, le premier ministre François Bayrou était interrogé par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur les violences dans les établissements scolaires. Sujet principal : sa place dans l'affaire Bétharram. Cela a-t-il été l'occasion pour les médias de revenir sur ce que savait, à l'époque, François Bayrou des violences dans l'établissement scolaire ? Il était alors ministre de l'éducation nationale et accessoirement, père d'enfants scolarisés à Bétharram, pour rappel. Que nenni ! Il a été bien plus divertissant, pour la presse, de regarder ailleurs.

Par exemple, de souligner la "pugnacité" du premier ministre face à l'interrogatoire, analyse Public Sénat. Il "«a joué assez habilement» face aux députés", estiment les sources du média parlementaire, un politologue et un communicant. Un édito du Télégramme a choisi ce même scoop : "Le vieux lion rugit encore", selon l'éditorialiste Philippe Créhange. D'autres ont adoré angler sur le livre avec lequel Bayrou a "débarqué" le jour de l'audience : La Meute (Flammarion, 2025), enquête de deux journalistes (du Monde et de Libé) sur les dérives de la France insoumise. Un détail croustillant qu'a adoré RMC.

Sinon, il y avait la réaction de Bayrou face à la fameuse affaire de la gifle, évoquée lors de l'audition. François Bayrou "revient" sur la "gifle de la discorde" délivrée en 2002, nous informe Sud Radio. L'occasion de réfléchir, selon la radio, aux différences générationnelles vis-à-vis de l'éducation. "Quoi qu'en dise François Bayrou, ni les gifles, ni les tapes ne peuvent être «éducatives»", a aussi tenu à rappeler leHuff Post. Tous les médias rappellent que le sujet ne vient pas de Bayrou lui-même, mais d'une question posée par le rapporteur de la commission, le député LFI Paul Vannier. Il a transformé l'enquête en "procès politique, version Staline", s'indigne Rémi Godeau, rédacteur en chef à l'Opinion.

Le journal est loin d'être le seul à s'être engouffré dans le commentaire de ce qui serait un "procès politique". La valse des citations-réactions, de gauche à droite, et même à l'extrême droite, au sujet de ce "procès politique" a fait la journée de nombreux médias. Cela vaut de BFMTV au Nouvel Obset à Libé, en passant par le Dauphiné ou le Figaro. Le quotidien de droite n'a pas hésité à titrer : "«Un procès de Moscou» : le RN à la rescousse de François Bayrou après son audition sur l'affaire Bétharram".

Il est un sujet vraiment pertinent, tout de même, que les médias ont relevé : l'accusation de mensonge envers François Bayrou. Paul Vannier, le rapporteur, a en effet accusé le Premier ministre d'avoir "menti" au sujet de ce qu'il savait, ou non, à l'époque, sur Bétharram. Enfin ! On va pouvoir s'intéresser au fond de l'affaire ! Aller titiller le politique, gratter là où il y a un véritable intérêt public ! Savoir quelles déclarations semblent contradictoires, là où le chef du gouvernement s'est peut-être mis en danger ! 

Que nenni.

Quasi partout, les médias se sont contentés de relayer l'accusation de Paul Vannier (ici sur LCP ou sur TF1), et la défense du Premier ministre, façon match de boxe ou ping-pong de com'. Violette Spillebout "croit" le premier ministre, lit-on dans le Parisien ouOuest-France. Public Sénat a aimé livrer les bons et mauvais points de cet "affrontement politique". Bayrou "rejette avec virulence les accusations", titre la République des Pyrénées. Mais de la nature des potentiels mensonges, on ne saura rien.

Il faut creuser, avant de trouver des articles ou contenus qui détaillent le nœud du problème. L'AFP l'a fait. Dans sa dépêche, l'agence a détaillé la citation de Paul Vannier, lâchée sur Franceinfo. Le Premier ministre, poursuit l'article, "avait été interpellé le 11 février par Paul Vannier lui-même, lors des questions au gouvernement, sur sa connaissance des faits à l'époque et avait répondu n'avoir «jamais été informé» sur des agressions sexuelles à Bétharram, établissement situé près de sa ville, Pau, et où plusieurs de ses enfants ont été scolarisés." Il faut encore creuser, au fond d'une autre dépêche AFP (ici sur Brut), pour lire que "François Bayrou a dû s'expliquer sur sa relation avec un ancien juge d'instruction, Christian Mirande, qui était aussi son voisin. Le magistrat était chargé du dossier de viol impliquant un religieux de l'établissement, le père Carricart, et il avait reçu en 1998 la visite de François Bayrou pour évoquer cette affaire." Plutôt contradictoire, donc, avec la citation du 11 février.

Parmi les rares à faire le boulot, Ouest-France a donné la parole au juge de l'époque : "«Bayrou a eu le tort de dire d'abord qu'il ne m'avait pas rencontré. Ensuite, que c'était fortuit. C'était tout aussi bête !» fustige l'ancien magistrat." BFMTV a aussi bien synthétisé le sujet sur son site web. Mais presque aucun média n'ose reprendre l'idée du mensonge ou même, de la contradiction. Mediapart et Politis sont parmi les seuls à dire, comme Souchon : "C'était menti"C à vous et Public Sénat posent la question : a-t-il menti ? D'autres tournent autour du pot. "Que risque François Bayrou s'il a menti sous serment devant la commission d'enquête ?" demandent la Voix du Nord ouSud Ouest.

Une question. Comment exiger de nos politiques qu'ils disent les termes si la presse n'ose même pas le faire elle-même ? 

Lire sur arretsurimages.net.