Arnaquée par un faux Brad Pitt : et si on parlait plus du vrai ?

Pauline Bock - - Déontologie - Sur le gril - 9 commentaires

Tous les samedis, l'édito médias de Pauline Bock envoyé dans notre newsletter hebdomadaire gratuite, Aux petits oignons : abonnez-vous !

Anne a 53 ans et elle est décoratrice d'intérieur. Grâce à des mensonges, des photomontages, des dossiers falsifiés ou générés par intelligence artificielle, des "brouteurs", le surnom des arnaqueurs en ligne, lui ont soutiré 850 000 euros : elle a parlé, pendant un an et demi, avec quelqu'un qu'elle croyait être l'acteur Brad Pitt, et a fini par envoyer de l'argent. Elle a témoigné dans l'émission Sept à huit, sur TF1, des dangers de ces escroqueries à l'amour.

Depuis la diffusion, Anne, qui a fait plusieurs tentatives de suicide, est victime de cyberharcèlement. Les internautes ont trouvé hilarante l'histoire de cette femme qui "est tombée amoureuse d'un faux Brad Pitt" et ont fait d'elle un meme, une blague sur Internet. Même un chroniqueur de France Inter, Matthieu Noël, s'est moqué d'elle dans la Matinale la plus écoutée de France, le 14 janvier : "Kikou la miss, c'est Brad...", a-t-il plaisanté.

Face à la viralité de l'émission, TF1 a choisi de retirer l'épisode de son site, en expliquant : "Le reportage diffusé ce dimanche (12 janvier 2025) a suscité une vague de harcèlement à l'encontre d'un témoin. Pour la protection des victimes, nous avons décidé de le retirer de nos plateformes."

Anne a tenté de répondre à ceux qui se moquaient d'elle, dans un entretien sur la chaîne YouTube Legend, en expliquant n'avoir pas cru tout de suite aux mensonges des "brouteurs", et avoir douté très longtemps : "Je me suis faite avoir, je le reconnais, et c'est pour ça que j'ai témoigné : parce que je ne suis pas la seule dans ce cas-là", dit-elle. "Alors, peut-être pas pour cette somme-là. Mais en tout cas, j'ai été arnaquée, je le reconnais. (...) Je suis une femme sensée. Si vous aviez été à ma place, vous seriez tombé·e dans le piège. J'ai douté tellement de fois, sachez-le." Surtout, elle dénonce l'usage de son témoignage fait par la production de Sept à huit : "Le journaliste est resté deux jours, et n'a reconnu que ce qu'il ne fallait pas retenir, pour salir mon image et uniquement dans le but de faire de l'audience."

Le directeur de la rédaction de Sept à huitestime avoir "produit ce sujet dans les règles de l'art" : "Le reportage, qui est documenté, relate les faits et ne prend pas parti. (...) Il raconte l'histoire d'Anne, une proie facile car fragile, et les raisons qui peuvent expliquer qu'elle est tombée dans ce piège." Brad Pitt, quant à lui, a réagi via un porte-parole, pour appeler ses fans à "ne pas donner suite à des contacts non sollicités sur les réseaux sociaux. Particulièrement lorsqu'ils viennent de célébrités qui n'y sont pas actives".

Si tous les médias ne se sont pas moqués d'Anne comme France Inter, ils sont trop peu à avoir rappelé en quoi ce genre d'arnaque peut toucher tout le monde. La rubrique Pixels duMonde a souligné, à raison, que "personne n'est à l'abri des escroqueries financières". Les journalistes, qui ont interviewé de nombreuses victimes dans le cadre de leur travail, expliquent que "rien n'est plus faux" que de croire qu'on ne se ferait jamais avoir : "Rétrospectivement, toutes se demandent comment elles ont pu se faire duper", écrivent-ils. Marianne a donné la parole à un avocat spécialisé en droit numérique, qui alerte sur "la vulnérabilité et la prévention à mener auprès des personnes plus âgées dans leur usage des réseaux sociaux" et considère que "cette affaire est symptomatique de ces nouvelles arnaques à l'ère du numérique". Le vrai sujet, c'est ça, et non la crédulité d'une quinqua, rendue responsable de l'arnaque dont elle a été victime.

Est-ce le montant, gigantesque, soutiré à la victime qui a tant fait rire internet ? Est-ce parce que ce type d'escroquerie à l'amour touche particulièrement les femmes plus âgées, solitaires et vulnérables, ce qui permet de faire de l'humour à la fois sexiste et âgiste ? Est-ce parce que la figure hollywoodienne de Brad Pitt introduit un élément de "pop culture" et d'absurde supplémentaire à l'histoire ? Aucun média, sauf erreur, n'a relevé que l'acteur est visé par des accusations de violences domestiques envers son ex-femme Angelina Jolie et leurs enfants. Et ça n'a rien d'anodin : une de ses filles a même changé son nom afin de retirer "Pitt" ; un des fils l'a décrit publiquement comme "une personne horrible et abjecte". C'est ça, le vrai Brad Pitt : un homme décrit par ses proches comme violent. Et si les médias le rappelaient plus souvent, il ferait sans doute moins rêver les victimes d'arnaques en ligne.

Lire sur arretsurimages.net.