Nos Vies Numériques - 7

Judith Bernard - - Sur le bout de la langue - 339 commentaires

On est très prothétiques

Dans son dernier ouvrage, Petite Poucette, Michel Serres figure notre ordinateur comme notre propre tête, posée devant nous - à l'instar de Saint Denis, dont la légende raconte qu'une fois que les Romains lui avaient coupé la tête, il continua de marcher, tenant sa tête sous son bras. Et Michel Serres de poursuivre : "Entre nos mains, la boîte ordinateur contient et fait fonctionner, en effet, ce que nous appelions jadis "nos facultés" : une mémoire, plus puissante mille fois que la nôtre ; une imagination garnie d'icônes par millions ; une raison, aussi, puisque autant de logiciels peuvent résoudre cent problèmes que nous n'eussions pas résolus seuls. Notre tête est jetée devant nous, en cette boîte cognitive objectivée". Rien d'étonnant, donc, à ce que nous ayons un peu perdu la tête, et tissé avec nos machines des rapports légèrement irrationnels...

On a des fétiches, des totems, des doudous.

Des objets dans lesquels on a des bouts de soi si précieux que l'idée de les perdre nous glace l'échine, on en a eus avant d'avoir des ordis.

On a eu des carnets, des répertoires, des agendas, auxquels on était follement attaché ; notre écriture penchée d'ado romantique y avait couché des poèmes, des récits de rêves, des rendez-vous chéris qui feraient date, que des ratures rageuses venaient couvrir d'un cinglant démenti.

Tous les aléas de nos petites vies, non numériques alors, faisaient des arabesques exaltées ou pathétiques qu'on croyait inscrites pour jamais...

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