"40 milliards d'euros d'économie" : ce qu'il aurait vraiment fallu retenir

Maurice Midena - - Médias traditionnels - Coups de com' - Quoi qu'il en coûte - 63 commentaires

Que le gouvernement nie ses échecs et ignore royalement les alternatives à l'austérité

Alors que le Premier ministre a annoncé que la France devait trouver 40 milliards d'économies pour 2026, les médias n'ont pas su dire à quel point le gouvernement n'avait pas appris de ses erreurs.

Il faut souligner qu'à chaud, les journalistes ne retiennent rien de ce qu'il faudrait retenir - et cela s'observe à merveille dans les pages éco. Prenez la conférence de presse tenue par François Bayrou, mardi 15 avril. Son contenu, de fait, était déjà connu, puisque même les plus basses besognes communicationnelles fuitent en amont, depuis les langues agitées des proches-visiteurs-du soir-de-l'entourage, vers les claviers des rubricards zélés.

Ainsi, l'AFP (citée par le Parisien) révélait dès lundi 14, que cette conf' de presse devait consister en un "rendez-vous destiné à sensibiliser les Français aux « pathologies » budgétaires de leur pays", à savoir une dette colossale (en 2024, elle a progressé de 203 milliards d'euros, pour atteindre 3 305 milliards à la fin décembre, soit 113% du PIB, selon l'INSEE), et un déficit public tout aussi inquiétant (5,8% du PIB en 2024, que le gouvernement espère faire descendre à 5,4%). Le tout, dans un contexte de croissance navrante (0,7% prévu en 2025, après 1,1% en 2024), une incertitude économique internationale due aux zinzineries douanières de Trump, et une scène diplomatique sur laquelle ne cesse de planer le brouillard de guerre. Cette conférence ne devait pas comporter "d'annonce", mais tout de même, on savait, depuis le dimanche précédent et le passage d'Éric Lombard sur BFMTV, que le gouvernement allait demander un effort d'économie de 40 milliards d'euros, le tout sans augmenter les impôts.

"Ce moment-là sert à la fois à dire où on en est et où on veut aller. Après, il y aura trois mois, trois mois et demi, de mise au point, d'avancée, vers des décisions", avait dores et déjà glissé Bayrou au Parisien, dès lundi. On connaît la chanson, et franchement, personne n'a envie de la voir atterrir dans notre playlist de l'année 2025.    

"La France ne travaille pas assez"

Ainsi, les médias se sont prêtés au jeu du "ce qu'il faut retenir", expression consacrée qui sert de titre pour les compte-rendus, aussi bien de voeux présidentiels, de rapports de commission d'enquête parlementaire, d'interviews du ministre de l'Intérieur, du procès d'un ancien président, bref vous avez l'idée. Dans ce format, on reste dans le sacro-saint "factuel", dans la rectitude déontologique pure et dure, le fait, les choses, les déclarations, les chiffres. Pas de vulgarité commentariale, ni d'obscénité analytique. Se sont prêtés au jeu : le Parisien, Franceinfo, TF1, BFMTV, mais aussi, avec le soutien de l'AFP, Ouest-France, Europe 1, La Dépêche, ou encore RTL.

Alors, que faudrait-il retenir de ce qu'a dit Bayrou ? Que la France "ne produit pas et ne travaille pas assez", que les droits de douane américains auront des conséquences sur le long terme (sans rire, merci John Maynard Keynes), qu'"augmenter les prélèvements" , "c'est un raisonnement qui paraît simple, mais qui est intenable, car la France est déjà le pays qui détient le taux de prélèvements obligatoires, d'impôts et de taxes de toute nature le plus élevé dans le monde en 2024"  et qu'il faudrait rallonger 3 milliards d'euros pour les projets de défense. Mais pour le moment, on n'en saura pas plus, étant donné que les "grandes orientations" et les "grands choix", seront connus d'ici la mi-juillet contre mi-septembre d'ordinaire  :  "Nous avons décidé d'aller plus vite, de prendre les devants, de choisir un calendrier beaucoup plus ambitieux et beaucoup plus exigeant", a précisé le maire de Pau, qui s'y connait en budget - sous son autorité, la dette de la municipalité a doublé.

Là, on vous a repris la trame du papier de Franceinfo, mais globalement tous les médias ont dit la même chose, agrémentant leurs comptes-rendus de différents verbatims de l'ami Bayrou, tous aussi glaçants les uns que les autres : "Il serait lâche et irresponsable de fermer les yeux, de mettre la poussière sous le tapis et de faire semblant", "Nous devons mesurer la gravité de la situation en écartant la peur et la tentation du découragement. Ce temps de constat, loin d'être un frein à l'action, est le temps de la mobilisation". 

De la facilité de la "pression fiscale"

Il ne fallait pas être grand devin pour comprendre que le gouvernement voulait profiter de cette séquence pour tester ses citoyens. Ainsi, avant même la conférence de presse du Premier ministre, des "pistes" ont été données dans la presse, avec encore en tête, le Parisien, ou l'Express : pérenniser la contribution différentielle sur les plus hauts revenus, réduire certaines aides aux entreprises, mettre fin à l'indexation des pensions de retraite sur l'inflation, limiter les dépenses de santé (avec l'idée de rembourser en fonction des revenus), couper encore dans l'assurance-chômage, réduire la voilure des collectivités territoriales. Des "pistes" donc, présentées comme des "faits" dans les médias, là où il ne s'agit que de réciter les mots du pouvoir, sans mise en perspective.

Évidemment, ces exercices d'objectivité n'existent que parce qu'ils sont le tremplin par la suite, de l'expression des subjectivités des lignes éditoriales. Continuons avec le Parisien, par exemple, avec deux éditos qui n'ont pas attendu les (non) annonces de Bayrou pour donner la couleur : "Il est plus urgent que jamais de marteler la situation périlleuse du pays qui croule sous 3 305 milliards de dette", glisse Jean-Baptiste Isaac, directeur adjoint des rédactions du Parisien, le 14 avril. Le lendemain, c'est Nicolas Charbonneau, le directeur des rédactions du quotidien qui non seulement regrette déjà "la facilité de l'imposition et la pression fiscale", mais préférerait aussi qu'on regarde du côté de la dépense publique et de la dépense sociale. Il y a eu aussi Ruth Elkrief sur LCI, chez Pujadas "En France, on va avoir les résistances politiques et syndicales qui font que ça n'arrivera peut-être pas". Ainsi est faite la magie du journalisme :se faire l'écho des idéologies libérales avant même qu'elles soient officiellement prononcées.

Se laver les mains

Et c'est à l'aune des éditocrates que l'on peut enfin comprendre ce qu'il fallait vraiment retenir de l'allocution de François Bayrou : c'est que le gouvernement ayant si peu d'imagination politique, ou étant si honnêtement convaincu qu'en termes budgétaires, il n'existe qu'une seule voie, il nous emmène de nouveau sur la route de l'austérité budgétaire.

Une route où les étapes sont bien connues : baisse des dépenses sociales et des budgets des collectivités locales (il est vrai que les Français croulent sous des services publics en pleine forme), refus de l'augmentation des impôts alors même que les entreprises et les plus grosses fortunes se sont gavées depuis près de dix ans, à grand renfort de flat tax, d'abaissement des cotisations, de disparition de l'Impôt sur la fortune et tous les autres fusils, canons et poudres de l'arsenal défiscaliste.

Ce que dit François Bayrou, c'est que le gouvernement ne prendra en compte, ni les faits qui l'obligent à revoir sa copie, ni les idées qui pourraient presque passer pour du bon sens si la droite ne les pensait pas iconoclastes

Et surtout, l'exécutif se refuse à prendre en compte les rapports d'études des politiques publiques de ces dernières années qui ont montré, données à l'appui, combien la politique de l'offre déployée depuis 2017 sous Emmanuel Macron, a, elle aussi, une balance négative. Ce que dit François Bayrou, c'est que  le gouvernement ne prendra en compte, ni les faits qui l'obligent à revoir sa copie, ni les idées qui pourraient presque passer pour du bon sens si la droite ne les pensait pas iconoclastes : le conditionnement des aides aux entreprises, ou encore la mise en place de "la taxe Zucman" sur le patrimoine des ultra-riches (2% minimum de leur fortune).

Ce qu'il faut retenir, donc, c'est qu'envers et contre tout, notamment le dérapage des comptes publics des dernières années, le macronisme, dans sa configuration bayroutienne, va répéter les mêmes recettes, et donc les mêmes désastres, à la manière de ces médecins du XIXe siècle qui refusaient de se laver les mains alors qu'un des leurs savait que c'était là que se logeaient les maladies. 

Aussi, voici ce que les journalistes devraient retenir : dire autre chose que cela, ce n'est pas "être factuel". C'est être le relais sans intelligence de la communication du pouvoir. 

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