Sarkozy condamné par la justice, blanchi par les chaînes d'info

Sherlock Com' - - Plateau télé - 46 commentaires

Si vous cherchez un job tranquille, devenez éditorialiste télé. Pas besoin d'avoir fait des études de droit, ni de lire les 400 pages d'un jugement. Trois idées sur un post-it, et c'est parti pour la journée. Et quelle journée ! A la suite de la condamnation de Nicolas Sarkozy à cinq ans de prison pour association de malfaiteurs, les chaînes d'info en continu, après un moment de sidération, ont fait ce qu'elles savent faire : à peu près n'importe quoi. Pseudo-débat juridique, micro-trottoir inutile, mauvaise foi en continu : tout a été fait pour sauver Sarkozy. De manière plus ou moins subtile sur BFMTV et LCI, et carrément au lance-flammes sur CNews. Et devinez laquelle de ces chaînes a attiré le plus de téléspectateurs ?

Quand on annonce dans l'oreillette à Sonia Mabrouk que Nicolas Sarkozy est condamné à cinq ans de prison ferme avec mandat de dépôt à effet différé (ce qui signifie qu'il va être incarcéré), la journaliste de CNews croit avoir mal entendu…

Face à elle, l'éditorialiste et ancien magistrat, Georges Fenech, est littéralement défait…

Sur les chaînes d'info, durant la matinée, avant l'annonce de la peine vers 13h, c'était déjà un peu la panique. Sarkozy obtient la relaxe pour certaines charges ("corruption passive", "financement illégal de campagne") mais il est déclaré coupable d'"association de malfaiteurs". Sur BFMTV, on hésite sur l'info à mettre en avant…

Sur CNews, fait rarissime, Morandini fait carrément changer le bandeau en direct quand il constate que celui-ci insiste sur la condamnation : "C'est dommage (...) on va retenir juste qu'il est coupable d'association de malfaiteurs et on va oublier qu'il est relaxé pour recel de détournements de fonds publics et pour corruption passive alors que c'est le plus important, donc on va changer le bandeau parce que j'aimerais bien qu'on soit sur l'essentiel de ce dossier".

Sur LCI, Isabelle Saporta, qui fut son éditrice, insiste sur les qualités de l'homme : "Quel que soit ce qu'on pense politiquement de Nicolas Sarkozy, c'est quelqu'un de très courageux, rappelez-vous, c'était lui qui était allé chercher les enfants à Neuilly, quand il était très jeune maire de Neuilly et qu'il y avait le preneur d'otage Human Bomb." Et le tribunal s'apprête à le condamner ?

Et puis tombe la peine. "Mes pensées affectueuses, en tant qu'homme, vont vers lui et sa famille, déclare Georges Fenech sur CNews. Je suis abasourdi par cette décision, choqué même".

Pour analyser cette "situation inédite", "historique", comprendre les répercussions de ce "coup de tonnerre politique", BFMTV et LCI multiplient les débats en s'interrogeant sur le bien fondé de cette condamnation. Avec des bandeaux quasiment identiques selon les heures de la journée : "Une peine trop sévère ?", "Une peine disproportionnée ?", "La justice va-t-elle trop loin ?", "Exécution provisoire ou politique ?", "Une justice politique ?", "Un verdict politique ?"...

Oui, en France, quand un ancien président de la République est condamné pour avoir voulu faire financer sa campagne électorale auprès de Kadhafi, les chaînes d'info insistent plutôt sur la sévérité du jugement.  

Sur les plateaux, les avocats de Sarkozy et de ses amis se succèdent pour assurer le SAV "J'ai rien fait m'dame"…

Certains de ses soutiens défilent également. Avec des éléments de langage plutôt étonnants. Comme celui-ci répété par Lydia Guirous (ex-porte parole LR) et Henri Guaino (ancien conseiller) : "En France, deux chefs d'Etat seulement ont été emprisonnés. Le premier s'appelait Louis XVI, emprisonné à la Conciergerie, et puis le second s'appelait Philippe Pétain pour haute trahison et fait de collaboration. Le troisième s'appelle Nicolas Sarkozy. Faut mesurer ce que cela signifie…"

Histoire d'être sûr que les téléspectateurs comprennent qu'il y a un problème dans la décision du tribunal correctionnel, BFMTV a même invité un expert du dossier, l'un des condamnés, Brice Hortefeux. Et oh surprise, il déclare que Sarkozy est "totalement innocent".

Et Martine ? Elle en pense quoi Martine ? Histoire d'aller encore plus loin dans l'expertise juridique, BFMTV a aussi demandé l'avis à des passants. "Je trouve que c'est une peine sévère, déclare une habitante de Neuilly. C'est la première fois pour un ancien président de la République qu'on arrive à une peine aussi sévère." Elle en pense quoi Monique ? "Je trouve ça injuste et très facile. Ce n’est pas la même justice pour tout le monde, je trouve que c’est juste un acharnement qu’on fait sur le président Nicolas Sarkozy". Et ne croyez pas que le micro-trottoir de BFMTV est orienté. Sur CNews, également, on a pu écouter "la réaction des Français". "La plupart de ceux que nous avons interrogés se disent choqués", assure Ferrari. 

Dans ce naufrage, BFMTV et LCI tentent tout de même de maintenir un semblant de contradictoire en invitant également des représentants du syndicat de la magistrature, des responsables d'associations anticorruption (Sherpa et Anticor). 

Mais maintenir un semblant d'équilibre, ce n'est pas la priorité de l'éditorialiste de LCI et directeur de la rédaction du Figaro Magazine, Guillaume Roquette : "Il n'est pas normal qu'on soit tous, en tout cas moi depuis tout à l'heure, à retourner dix fois les mots dans la bouche parce que dans ce pays, qui est supposé être une démocratie, on n'a pas le droit de critiquer une décision de justice, en tout cas on n'a pas le droit de jeter le discrédit sur la justice".

On lui conseille d'aller bosser chez CNews. Car sur la première chaîne d'info de France (5% de part de marché ce jour-là, encore un record), Pascal Praud, Laurence Ferrari et tous leurs amis n'ont pas vraiment fait dans la finesse.

Le verdict de CNews

A chaque heure de la journée du 25 septembre, ils ont insisté sur l'absence de preuves contre Sarkozy. "C'est un choc énorme, explique par exemple Paul Amar qui a trouvé sur CNews une seconde jeunesse. "Voilà un homme qui va aller en prison pour une suspicion. Aucune preuve n'a été trouvée. L'argent n'a pas été trouvé."

Thomas Bonnet confirme : "On est en train de parler d'un ancien président de la République qui va aller en prison sur des éléments (...) qui ne sautent pas aux yeux quand vous lisez les rapports d'audience (…), il n'y a pas de corruption, pas d'argent, pas de détournement, pas de financement illégal de la campagne. Tout ça parait assez grossier. "

"Ce qui nous met extrêmement mal à l'aise autour de ce plateau, c'est qu'on a le sentiment qu'il est condamné sans preuve. On a le sentiment qu'il y a une erreur extraordinaire de justice", renchérit Fenech. "Le tribunal n'a trouvé aucune preuve de délit, aucune trace d'enrichissement personnel, certifie Ferrari. Et pourtant la décision a été prise, par les magistrats de l'envoyer en prison, pour cinq ans." Dans ces conditions, comment expliquer cette lourde condamnation ? Seule la thèse de la vengeance politique est avancée sur CNews.

D'après Paul Amar, "certains juges, peut-être politisés, prennent parfois des décisions politiques". Pour Georges Fenech, c'est même "le véritable poison de notre société (...) C'est un poison qui est instillé dans toute la magistrature avec une volonté de règlement de compte (...)  Vous savez à quoi je pense en ce moment ? Je pense à un mot de François Mitterrand : « Méfiez-vous des juges, ils ont tué la Monarchie, ils tueront la République »".

De quoi désespérer Pascal Praud : "Ainsi va la justice française, désormais cohérente dans ses peines : implacable avec les dirigeants, laxiste avec les racailles. Il faut inverser désormais la célèbre maxime de Jean de la Fontaine : selon que vous serez misérable ou puissant, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir."

Alors pour sortir de ce marasme, Geoffroy Lejeune du JDD ne voit qu'une solution : "Il faut supprimer le PNF (...), il faut supprimer la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique qui est une officine d'inquisition. Et il faut supprimer l'exécution provisoire qui est contraire au principe de notre droit depuis toujours". On garde quand même le code pénal ?

Bref, tout fout le camp. Et tout ça, c'est la faute de qui ? Des juges, mais aussi de la presse. A commencer par Mediapart.

"Il y a de la part de Mediapart, une volonté de nuire, de tuer Nicolas Sarkozy", assure Catherine Nay. "Il y a quand même un rôle de Mediapart très particulier dans la justice de notre pays, déclare Elisabeth Lévy. Ils marchent main dans la main, ils feuilletonnent les dossiers. Et je peux vous dire que dans la façon dont ils traitent les affaires, je le vois dans les affaires Metoo, quand ils ont décidé que quelqu'un était coupable, ils trouvent. Ils trouvent des gens pour leur raconter des trucs. Franchement, c'est du journalisme d'inquisition."

Pour prendre tout de même un peu de recul, CNews a  demandé l'avis d'un philosophe.  On n'attendait que lui : "J'ai une intime conviction sur cette histoire, déclare Bernard-Henri Lévy. C'est une époque, 2011, où je voyais beaucoup Nicolas Sarkozy. J'ai l'intime conviction qu'il n'est pas coupable de ce qui lui est reproché".  En plateau, un journaliste insiste : "mais qu'est-ce que ça vous inspire comme philosophe cette situation ?" BHL, n'étant pas venu avec ses fiches de révision du bac, improvise comme il peut : "La faillibilité de la justice, le fait qu'elle est plus qu'on ne le pense, sujette à l'effet des passions humaines. Les juges sont des femmes, sont des hommes, elles et ils ont leur passion, leur conviction. Ce qu'un philosophe peut espérer c'est que la justice se mette au-dessus de tout ça, au-dessus de ces passions. Et apparemment, ce n'est pas toujours le cas. "

Pas de corruption ? Pas de détournement ? Pas de financement illégal de la campagne ? C'est ce que les chaînes d'info ont matraqué pendant 24h. Et bien évidemment, aucun de ces éditorialistes n'a lu les 400 pages du jugement. C'est bête, ça aurait pu aider pour se faire une meilleure idée de la logique de ces décisions. Ce travail de lecture a été effectué par les journalistes de Mediapart, Fabrice Arfi et Karl Laske, qui documentent depuis plus de 10 ans cette affaire. L'article est à la fois passionnant et vertigineux, tant on mesure le décalage entre la petite musique des chaînes d'info et ce qui figure dans ces 400 pages.

Un exemple parmi d'autres : il n'y a pas eu de condamnation pour financement illégal de la campagne. Les éditorialistes en ont conclu que Sarkozy a juste été condamné pour l'intention et qu'il n'y a pas eu d'argent libyen. Or, ce n'est pas du tout ce qui figure dans le jugement. Le tribunal a confirmé que des fonds libyens avaient financé la campagne de Nicolas Sarkozy, s'appuyant sur les carnets de l'ex-premier ministre libyen Choukri Ghanem, jugés authentiques. Ces notes mentionnent plusieurs versements pour un total de 6,5 millions d'euros, provenant de proches de Kadhafi. L'enquête bancaire a confirmé la trace de ces flux, passés par des intermédiaires liés à Sarkozy. Une partie des fonds touchés par Takkiedine ont "donné lieu à des retraits d'espèces importants dans une temporalité compatible avec la campagne électorale", peut-on lire dans le jugement cité par le site d'information. 

Si de l'argent liquide illicite a bien circulé, pourquoi Sarkozy n'a-t-il pas été condamné pour financement illégal de la campagne ? Et pourquoi le trésorier de la campagne, Eric Woerth, a-t-il été relaxé ? Ecoutez bien le raisonnement : d'après la loi, le seul auteur principal possible d'un financement illégal de campagne est le candidat lui-même. Ses collaborateurs, eux, ne peuvent être poursuivis qu'en qualité de complices. Or, le dossier ne contient aucun élément prouvant que Nicolas Sarkozy, en tant que candidat, ait eu connaissance de la circulation d'espèces, contrairement à son trésorier. C'est pour cette raison qu'il doit être acquitté. "Si l’auteur principal est relaxé, les complices présumés ne peuvent pas être condamnés. Voilà pourquoi Éric Woerth, qui ne s’est même pas présenté au tribunal pour le jugement, a été relaxé", conclut Mediapart.

Un raisonnement sans doute trop complexe pour tenir sur le post'it d'un éditorialiste. 

Lire sur arretsurimages.net.