Reine des neiges : TF1 fact-checke les loisirs des prolos...

Sherlock Com' - - Plateau télé - 18 commentaires

...mais pas ceux des riches

Depuis le temps que Timéo et Nolan attendaient ce moment. Dimanche 2 février, le magazine Sept à huit (TF1) a suivi une famille lors d’un séjour à Disneyland Paris. Pour ces fans de la Reine des neiges, c’était un moment familial très attendu. “Ca fait du bien de voir les sourires des enfants”, explique leur mère. Des sourires, il y en avait aussi sur les visages de Jessica et Bruno, ce couple d’une vingtaine d’années qui voue une passion à Anna et Elsa, les héroïnes du film d'animation. Tous ont répondu à un appel à témoins lancé par TF1 sur Facebook, la chaîne souhaitant suivre une famille et un couple assistant à la nouvelle parade "Reine des neiges" du parc d’attractions. Un publi-reportage pour Disney ? Pas exactement, car la caméra va rapidement s’intéresser aux ressorts psychologiques de ces fans inconditionnels. Des fans dont l’autre particularité est d’appartenir aux classes populaires, insiste TF1. Oui, bienvenue chez les prolos.

Il est 5h du matin et c’est la fête aujourd’hui. Elodie finit d’habiller Nolan (5 ans)...

Pendant que Timéo (9 ans) attend sagement le départ de toute la famille avec sa précieuse carte...

Si les petits choupinous se sont levés aussi tôt en ce matin de janvier, c’est parce que leurs parents les emmènent au parc Disneyland Paris avec leur tante et leur petite cousine, Shana (4 ans)…

Deux journées féeriques pendant lesquelles ils vont voir leurs personnages préférés de la Reine des neiges, dont le deuxième volet vient de sortir au cinéma.

L'occasion de croiser Elsa et Anna sur leur char...

ou Olaf, le bonhomme de neige un peu gaffeur, en pleine séance de dédicace…

Un bonhomme très occupé, mais qui a quand même le temps de leur faire un câlin...

Au cours de la journée, la petite Shana participe également à un atelier “princesse d’un jour” avec costume et maquillage d’Elsa…

Qui se termine par une séance photo en famille...

La petite famille a également assisté au spectacle sons et lumières du parc….

Avec feux d'artifices...

Effet garanti...

Lors de ce séjour, la famille aurait pu croiser un couple, Jessica et Bruno, 28 et 29 ans, également fans de La Reine des neiges 2.

Un couple original, adepte du “cosplay”, un loisir bien connu notamment des fans de mangas et de jeux vidéo, auquel Sept à huitavait déjà consacré un reportage, et qui consiste à jouer le rôle de personnages (costumes et maquillages inclus). Voilà pourquoi Bruno et Jessica sont venus au parc, habillés en Elsa et Anna, pour voir la nouvelle parade consacrée à leur film d'animation préféré. Une parade qui n’a d’ailleurs pas convaincu nos adeptes du cosplay : “Je m’attendais à mieux” (Bruno), “Je suis un peu déçue” (Jessica).

Ah que voulez-vous, ce n’est pas facile de satisfaire ces fans inconditionnels que TF1 a trouvés en lançant un appel à témoin sur Facebook.

Un appel à témoins très clair : la chaîne souhaitait faire un reportage sur la nouvelle parade de la Reine des neiges 2 en suivant une famille et un couple d’une vingtaine d’années, fans de ce film d'animation. Mission presque accomplie. Car les journalistes de Sept à huit, Julie Dulac et Tony Casabianca, ont visiblement changé l’angle initial du reportage au contact de nos témoins. Ou comment un sujet "loisirs" s’est transformé en séance de psy chez les prolos.

De la FÉERIE à la séance de psy

Reprenons. La mère de Timéo et Nolan s’appelle Elodie. “A bientôt 32 ans, elle travaille la nuit comme cuisinière, explique la voix off. Cette grande enfant collectionne les articles Disney depuis son adolescence”.

La preuve, l’étagère du salon :

Des figurines qu'Elodie n'hésite pas à nettoyer, pile au moment où la caméra filme (coup de bol, hein).

“Elle dépense une centaine d’euros par mois en produits dérivés, la plupart consacrés à son dessin animé fétiche, jusqu’au shampoing des enfants”, poursuit la journaliste, image à l’appui..

Petit à petit, la caméra pénètre l’intimité de la mère de famille… “La passion quelque peu envahissante d’Elodie pour les héroïnes virtuelles remonte à son enfance comme en témoignent ces premières photos de classe”, enchaîne la journaliste à qui la mère de famille a aussi ouvert son album photo…

Une femme de 32 ans, fan de dessin animé ? Face à la journaliste reconvertie en psy de comptoir, Elodie se sent obligée de se justifier : “Moi j’étais l’aînée de six enfants, y’en a cinq qui sont arrivés derrière moi, forcément, j’ai dû grandir plus vite que les autres et j’ai dû m’occuper très rapidement de mes frères et soeurs. Du coup, forcément, l’enfance n’a pas été gâchée mais elle a été très courte pour moi. Donc du coup, à 32 ans, je retourne un petit peu en enfance avec ça”.

Une passion un peu envahissante, nous explique la journaliste de TF1 qui bascule dans la psychothérapie de couple en interrogeant le mari, lequel tente de se justifier également : “Disney d’accord mais faut pas que ça prenne toute la maison non plus. Ça en prend une bonne partie, j’ai été conciliant sur beaucoup mais voilà, y’a des choses où je dis non. Si je l’écoutais le papier peint de la maison serait Disney…La faïence dans la salle de bain, elle serait capable de me mettre du Disney, j’ai dit non, on met du neutre. On essaye de trouver l’équilibre".

Des propos appuyés par un montage bien ciselé, les plans alternant entre le mari et l’étagère à peluches, le mari et l'étagère à peluches... 

Bien compris l'ampleur du problème ? D'ailleurs, comment ont-ils fait pour payer à leurs enfants un séjour à Disneyland, dans un hôtel où la nuit peut atteindre les 1000 euros pour quatre personnes ? Cette question intrigue d’autant plus TF1 qu’Elodie est "cuisinière de nuit" et son mari, Nicolas, est “agent de maintenance”

Figurez-vous que c'est grâce à une "offre inespérée" du comité d'entreprise du mari (400 euros tout compris). Une somme qu'ils ont pu mettre de côté à force de sacrifices : "Tous deux payés au SMIC, ils ne sont pas partis en vacances depuis un an et demi. Elodie a même fait des extras en tant que serveuse l’été dernier”. Nous voilà rassurés, ils ont donc un peu mérité ces deux jours.

Cette séquence fact-checking des comptes du couple se conclut par un extrait de 5 secondes de la chanson de La Reine des neiges 2, chantée par Nolan dans la voiture : “OOOHHHH, je te cherche, j’ai besoin de toiiiiiiii”.

Sortez les mouchoirs...

Il y avait 1h30 de trajet en voiture. Les journalistes auraient donc pu choisir un extrait un peu plus gai, mais non, la complainte de Nolan est censée répondre aux difficultés financières des parents. On voyage ainsi en terre inconnue chez les prolos, qui doivent se justifier de chacune de leurs dépenses par rapport à leur petit salaire. 

Arrivée dans la chambre d’hôtel, la mère de famille se justifie à nouveau : “Ça fait du bien de voir les sourires des enfants aussi. Avec l’argent mis de côté pendant tous ces mois, c’est la récompense. lls sont contents, c’est le principal. Moi aussi. C’est vrai qu’avec 400 euros ou plus, on pourrait quasiment avoir une semaine autre part. Mais, on n’aurait pas ce confort là et pas ces images là quoi. Non, on ne regrette pas. Moi, je ne regrette pas en tout cas”.

N’est-ce pas Timéo ? A seulement 9 ans, il a déjà parfaitement intégré la nécessité de se justifier devant la caméra : “Je préfère passer un jour dans un hôtel formidable, que rester une semaine dans un hôtel pourri”.

Cette auto-justification permanente est le fil directeur de ce reportage. Elle est partout. Une fois, dans le parc, Elodie poursuit : “Quand on arrive à Disney, on pose tous nos soucis à l’entrée, sur le parking. Et puis après, on vit comme un enfant, sans problème, sans rien. Que ce soit au niveau professionnel, personnel, financier, on doit s’accrocher tous les jours. Donc un monde de féerie, c’est bien, ça change un peu le quotidien”.

Même montage, même auto-justification pour le couple, adepte du cosplay, Bruno et Jessica. “Dans la vie réelle, Bruno est infographiste, en recherche d’emploi. Jessica assemble des rétroviseurs dans une usine”, explique la voix off. Assembler des rétroviseurs ? Cette précision est censée justifier la nécessité de s’évader pour Jessica. Qui s’auto-justifie, encore : “Mon métier n’a absolument rien à voir avec le costume, ni la féerie. Après, il y en a qui kiffent leur travail mais je les envie tellement parce que j’aimerais trop faire un travail qui me plairait à tel point que je n’aurais qu’une envie, c’est de retourner bosser”, explique Jessica.

Un luxe de détails qui permet de juger

Comme lorsque la télé scrute le portefeuille des Français qui vivent “à l’euro près”(souvenez-vous de cette chronique), les loisirs des “mauvais pauvres” doivent trouver une raison autre que la simple possibilité de se distraire ou de se faire plaisir.

En pénétrant cette intimité, en multipliant les scènes d’introspection et d’auto-justification, la caméra donne aux téléspectateurs les éléments pour juger du bien fondé de cette dépense, du bien fondé de cette passion bizarroïde. Et du coup, que s’est-il passé sur les réseaux sociaux d’après vous...

Voici quelques commentaires sur Elodie, la mère de famille...

Même type de messages pour Jessica et Bruno. Enfin surtout pour Bruno, qui a le malheur d'être un chômeur ayant une passion...

Face à ces messages, Jessica et Bruno ont répondu aux critiques des internautes dans une vidéo publiée sur la chaîne YouTube du jeune homme consacrée à ses prestations de cosplayer (une chaîne YouTube qui dépasse les 440 000 abonné.e.s, excusez du peu). Dans leur réponse, le couple n'incrimine pas le reportage.  A un détail près : “Il y a des trucs qu'on leur avait dit de pas forcément dire, assure Jessica. On leur avait pas forcément demandé de dire par exemple qu'on habitait chez les parents de [Bruno] parce que bon voilà c'est qu'une situation temporaire et c'est un peu difficile. Sauf qu'ils l'ont dit et du coup c'est un peu pour ça qu'on se fait pourrir sur twitter”. Oui, ils l’ont dit, puisque c’est cette précarité qui était censée justifier leur refuge dans cette étrange passion. 

Tout justifier, tout le temps. C'est le sort réservé par TF1 à ces classes populaires qui osent avoir des loisirs. Car il ne viendrait pas à l’idée de ces journalistes d’interroger les plus riches sur les motivations de leurs loisirs hors norme. Au hasard, prenons le sujet de Sept à huit de juin 2019, intitulé “Luxe, yacht et volupté” à Monaco. Un reportage ou l’on croise des bateaux loués 330 000 euros la semaine, avec “option sous-marin à 50 000 euros” pour “boire une coupe de champagne en observant les poissons”.

A aucun moment la voix off ne s’interroge sur les ressorts psychologiques d’une telle démesure, ni sur les motivations de cette famille qui navigue de temps de temps sur ce bateau de 2 millions d’euros…  

Non, aucun questionnement, tout le reportage transpire la fascination pour cette “vie de strass et de paillettes dans l’une des baies les plus prestigieuses au monde”. Elodie, Nicolas, Nolan, Timéo, Jessica, Bruno n’ont pas eu le droit au même regard bienveillant de TF1. Eux, c’était “les fous de la reine”.Tout était dit dans le titre d'ouverture. 

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