"L'Agence" : l'indécence de l'ultra-luxe télévisé

Sherlock Com' - - Médias traditionnels - Plateau télé - 40 commentaires

Il faut bien réfléchir avant d'acheter un 1620m². TMC vient d’achever la diffusion de la saison 4 de "L'Agence", une téléréalité mettant en scène une famille d'agents immobiliers spécialisés dans le luxe et l'ultra-luxe. "Villa exceptionnelle", "piscine en pierre de lave", mobiliers aux matériaux improbables (vous allez être hyper calés en essence de bois et en "marbre vert des Alpes") : ce programme du groupe TF1, racheté par Netflix, nous permet d'entrevoir le mode de vie de ceux qui ne s'exposent pas habituellement. Car au-delà du story-telling autour de la saga familiale des agents Kretz, c'est bien l'indécence des ultra-riches que TMC tente de magnifier. Des ultra-riches fort sympathiques et si soucieux de la protection de l'environnement (une fois qu'ils ont posé leur hélico).

Désert marocain, un lundi matin.

Chaque année, la famille Kretz organise un séminaire avec tous leurs collaborateurs (près de 70 agents immobiliers à ce jour) pour souder le groupe. Du "team-building" indispensable pour une agence immobilière hors norme, spécialisée dans les biens immobiliers de luxe. Basée à Boulogne-Billancourt, l'Agence est d'abord une affaire de famille : Olivier et Sandrine Kretz travaillent avec leurs enfants, Martin, Valentin, Louis et Raphaël. Depuis quatre ans, TMC les filme dans leur quotidien.

En ce lundi matin, c'est donc séminaire annuel dans le désert marocain. Pour se rendre sur les lieux, ils n'y sont pas allés à dos de chameau (ça, c'est pour de la balade), mais dans un convoi de pickup, filmé avec des drones.

A la tête du convoi, la famille Kretz donc.

Après une petite heure de route, le convoi arrive sur le lieu du séminaire. Un camp tout simple avec des petites tentes installées autour d'un point d'eau.

Dès la descente des pickup, une activité brise-glace est proposée avec l'accueil chaleureux des locaux.

Mais oui, dis-donc, quelle bonne idée d'avoir payé des Marocains pour une haie d'honneur en plein désert.

La suite est une succession d'ateliers autour de la piscine, avec un verre de champagne à la main (en plein désert, faut penser à s'hydrater).

Bref, comme le disent les Kretz, "ce séminaire, c'est vraiment un séminaire qui nous ressemble (...) On a voulu partager quelque chose de fort avec nos agents". Car voyez-vous, "les agents comme nous ont besoin de se reposer et de poser un peu leurs valises comme on dit et pouvoir être tous réunis dans un endroit zen, c'est très important pour souder le groupe."

Un bien beau séminaire de travail qui se conclut par la cérémonie du feu. Du quoi ? En fin de soirée, les collaborateurs doivent écrire sur un petit bout de papier des obstacles à leur réussite. "Cette cérémonie du feu, ça permet à chacun de brûler ce qui les empêche d'avancer, de prendre des risques, de partager et d'être plus heureux pour en sortir plus soudé. Et c'est quand même ça le but d'un team building", explique le patriarche.

Conclusion de l'aîné : "C'est vraiment le séminaire le plus spirituel qu'on n'ait jamais fait." Bienvenue dans l'Agence.

L'ultra-luxe sublimé par TMC

Ce séminaire illustre l'ampleur de la déconnexion de cette famille aux clients si particuliers. Peu importe la hausse des taux, leurs clients n'ont pas vraiment de difficultés à obtenir un prêt. Ils sont "gestionnaires de patrimoine", "chef d'entreprise et collectionneuse d'art", ou encore "trader et mannequin". Un monde à part.

Tous recherchent des biens d'exception. Résultat, les Kretz leur proposent des "penthouse" ou des "maisons" improbables, estimés entre 6 et 30 millions d'euros (frais de notaires inclus, pas de panique).

Des biens avec des matériaux délirants. Les cuisines sont toujours en marbre ("italien", "espagnol", "vert des Alpes" ou "Sandro Verde de Chine"), les meubles sont en bois exotiques ("bois brûlé qui vient de Tanzanie", "bois du Guanacaste" ou "bois de Macassar"). Sans parler des baignoires (faite "en pierre de lave" ou "en chêne huilé").

Quant à la déco, oubliez les plantes et les bibelots. Nos amis les ultra-riches sont plutôt...

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"Girafe géante" dans le salon


...et piscine (avec ou sans Bouddha).

En 2020, nous nous étions penchés sur les premiers épisodes de la saison 1, en ironisant sur cette débauche de luxe.

Mais quatre ans après, ce programme, qui a trouvé refuge sur Netflix avec un certain succès - c'est le seul programme français dans le Top 10 de Netflix au printemps 2023 - paraît bien plus qu'une vitrine dépaysante.

Une ôde à l'entrepreneuriat

L'Agence, c'est avant tout l'histoire d'une réussite. Chaque séquence est l'occasion de rappeler la success story familiale. "Il faut qu'on travaille tous ensemble pour garder cette société pérenne", répète sans cesse Olivier, le père. Chaque bien immobilier est "une très grande opportunité", un "challenge". Leur travail est "excitant", "vertigineux". "Il va falloir qu'on montre qu'on a les épaules pour s'occuper de la vente de la propriété", déclare l'un des conquérants.

Ensemble, ils vivent "des moments exceptionnels", ils "profitent de chaque instant". Et tout ça, c'est parce qu'ils visitent "des propriétés toujours plus exceptionnelles", "uniques", "dignes d'un palace", des "pépites cachées", "l'excellence de l'excellence". Dans leurs catalogues, on trouve toujours le plus : "le plus grand rooftop du 9e arrondissement", "le plus beau futur chalet de Méribel", "la maison la plus haute de Barcelone". Sans oublier "l'un des plus beaux haras de France", qui se visite bien évidemment à cheval.

Le travail, la réussite, l'excellence : c'est l'obsession de la fratrie. Ils ont tous une vraie fascination pour l'ultra-luxe. De quoi émouvoir le patriarche : "L'agence va bien, les enfants ont réussi à développer la société plus que j'aurais jamais imaginé, donc ça, c'est fantastique. Là, je suis fier d'avoir rendu les enfants plus forts que moi."

Et ce n'est pas près de s'arrêter : depuis que le quotidien des Kretz est filmé par TMC (puis repris par Netflix qui a racheté les droits), l'Agence est florissante, de l'aveu même du cadet de la fratrie : "Côté vendeur, nous nous sommes très vite rendu compte que la série était un canal de vente extraordinaire, et notamment pour le business à l'international : Netflix, c'est une diffusion dans 190 pays, sous-titrée dans 35 langues".

En quatre ans, l'entreprise est passée de 10 à plus de 70 agents. Côté chiffre d'affaires, malgré un ralentissement des transactions, celui-ci a augmenté de 25% en 2023. Avec une commission estimée à 3% sur chaque transaction, sachant qu'ils affichent près de 250 millions d'euros de "valeurs vendues" certaines années, faites le calcul : tout va bien pour eux. L'occasion de boire une petite coupette à chaque épisode. 

Une réussite à la hauteur de leur investissement dans le programme de TMC/Netflix.  Au détour d'une interview, l'un des frère avoue avoir "deux métiers aujourd'hui : l'immobilier et la série, qui doit nous prendre 50 % de notre temps. On tourne huit mois par an."

Huit mois de tournages ! De vrais comédiens, les Kretz. On ne se rend pas compte au premier visionnage, mais tout est hyper monté : les scènes sont rejouées à plusieurs reprises pour offrir les meilleurs angles de caméra.

Par exemple, quand Valentin se rend à New York pour annoncer à l'un de ses amis qu'il va diriger la nouvelle antenne de l'Agence, on dirait du Lelouch.

Même mise en scène quand Martin veut admirer la vue d'un appartement parisien.

Bref, huit mois de tournage, c'est une grosse production, pour un business florissant qui suscite forcément quelques jalousies. Dans un article du Figaroassez savoureux, des concurrents pointent les limites de la série : "C'est très bien fait et ça rend le métier d'agent attirant, mais ça ne montre que la partie sympa de l'iceberg", explique l'un d'entre eux. "Dans le milieu, on est unanimes pour se dire qu'on ne travaille pas comme ça, commente un autre, on ne les voit pas faire de suivi administratif et commercial." Sans blague.

Évidemment, ce qui fait l'intérêt de la série, ce n'est pas la découverte du quotidien d'un agent immobilier de luxe. Au-delà des belles images de villas improbables, qui attirent forcément l'œil des téléspectateurs, ce qui frappe dans cette série, c'est de s'imaginer que ces agents ont pensé que c'était une bonne idée de filmer leur séminaire en plein désert, de se filmer avec des coupettes à chaque transaction (ou presque), ou d'énumérer, face caméra, toutes les sortes de marbre qui composent ces biens du sol au plafond. Avec une fascination permanente pour le luxe, nous dévoilant les coulisses d'un milieu social qu'on ne voit jamais, hors de toute réalité sociale et politique. 

Mais il y a pire que des agents d'ultra-riches. Ce sont les ultra-riches eux-mêmes, tendance écolos.

L'écologie des ultra-riches

Direction le Costa-Rica. Martin y retrouve Canel et Sebastian, "des entrepreneurs brillants" au portefeuille presque illimité (elle a dirigé le site de poker et de pari en ligne Winamax, lui a vendu "l'une des premières licornes françaises" valorisée à plus d'un milliard d'euros).

"Aujourd'hui, on est des entrepreneurs nomades, expliquent-ils en toute simplicité. On a fait le choix de s'installer six mois par six mois dans différents pays, au gré des projets. On a trois filles qui ont quatre, cinq et sept ans. Elles reçoivent une éducation avec les professeurs qui se déplacent avec nous." 

Pour héberger tout ce petit monde, ils cherchent une petite maison de 600m². C'est là que Martin entre en jeu. Comme vous l'avez deviné, il leur a déniché "une villa exceptionnelle, qui est unique en son genre". Un peu plus grande que prévue.

Une villa perdue dans la jungle mais dont l'actuel propriétaire (l'acteur Mel Gibson) "a trouvé une solution pour se faciliter la vie" : un héliport. "En hélicoptère, on est à 20 min de San Jose. Plus besoin de faire 5 h de voiture. Donc ça, c'est un gros gros plus", précise l'agent immobilier.

Sauf que pas de bol, les licornes sont écolos et veulent limiter ce type de déplacements. Écolos ? Oui, car on a oublié de vous dire pourquoi ils s'installent dans ce pays d'Amérique Centrale : "On a tellement aimé le Costa Rica que c'est là qu'est née l'idée de faire un écovillage. Travailler pour la nature, pour l'environnement, pour le social"Le projet ? "Construire que sur seulement 5% de l'ensemble du terrain. Le reste, on va le préserver et le régénérer".

Concrètement, ils veulent (défense de rire), créer un village pouvant "accueillir entre 300 et 400 personnes (...) pour permettre aux gens de venir se reconnecter avec la nature et avec eux-mêmes" car "c'est un projet de vie autour de ces valeurs de nature et de préservation".

Oui, ils ont tellement aimé le Costa Rica qu'ils veulent "travailler pour la nature", ce qui veut dire dans leur langage d'ultra-riche : acheter des terres vierges pour faire des constructions dessus. 

Martin, l'agent immobilier, toujours à l'affut d'une "bonne opportunité" embraye direct : "Ce terrain est immense, j'ai l'impression d'être dans Jurassic Park", "c'est un projet pharaonique parce qu'il va falloir créer des routes, va falloir amener l'électricité, va falloir amener l'eau, c'est énorme comme projet."

Un projet énorme pour lequel il va commercialiser des parcelles. Car voyez-vous, ses clients fortunés cherchent exactement ce type de biens : "C'est vraiment ce que beaucoup de mes clients cherchent aujourd'hui, d'avoir plus d'espace, de pouvoir travailler à l'autre bout du monde".  Du télétravail au bout du monde, dans une nature préservée à coup de tractopelle, c'est aussi ça, la vie rêvée des ultra-riches, filmée avec complaisance par TMC. Vivement la saison 5.

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