"Inside McDo" : un maxi best of de com'

Sherlock Com' - - Médias traditionnels - Plateau télé - 12 commentaires

"Un an dans le restaurant n°1 en France"

En immersion dans de l'huile de friture. Pendant un an, les caméras de RMC Story "se sont glissées dans la machine McDo" en filmant tout : le quotidien des restaurants, les usines des fournisseurs et le département R&D (à l'origine d'une nouvelle sauce qui permet "d'entendre les cigales chanter"). Diffusé lundi 23 septembre, "Inside McDo" est la caricature du documentaire embedded : on y croise notamment Frédéric (le patron trop cool qui veut "garder le contact avec le terrain"), Ludovic (le directeur génial qui "épaule ses équipes sur tous les fronts") ou encore Angelina (la "manager dévouée qui rêve de grimper les échelons"). Un programme dopé aux superlatifs qui tombe à pic. Car si la chaîne de fast food n'a pas de casseroles dans ses cuisines, elle en a plein ailleurs.

Guyancourt (78), un lundi matin.

Au "département recherche et développement" de McDonald France, Clémence et son équipe font des expérimentations pour élaborer de nouveaux burgers. Le pain est important bien sûr, mais il y a aussi les sauces. Celle aux herbes de Provence a fait son petit effet ce matin-là : "Là, on voyage, je ferme les yeux, j'entends la cigale chanter", assure une salariée.

Tester de nouveaux pains, goûter de nouvelles sauces avec du ketchup ou de la mayo : en soi, l'exercice ne relève pas vraiment de la physique nucléaire. Mais pour RMC Story, l'enjeu est énorme : "Pour la première fois de son histoire, le numéro 1 du fast food a accepté de nous montrer les coulisses de l'élaboration d'un nouveau burger". Un exercice comparé à de la "haute couture" par la chaîne.

Ce matin-là, les experts de McDo doivent choisir le prochain burger de saison, à base de comté, selon un processus scientifique rappelé sur grand écran. "Objectifs de la réunion : deux objectifs clairs" (sic)

D'un côté, il y a un burger avec du comté coupé en carré, de l'autre, un burger avec du comté coupé en petits rectangles.

"C'est dans un silence presque religieux que toute l'équipe se concentre pour ressentir tous les arômes du burger", explique sans rire la voix off.

Ce n'est qu'après plusieurs mois de travail que le résultat est proposé au grand public sous le nom de code "Double Cheese Comté AOP".

Bref, bienvenue dans les coulisses de McDonald.

Un an avec Frédéric et Ludovic 

"Un an dans le restaurant numéro 1 en France". C'est la promesse de ce documentaire diffusé sur RMC Story. Avec une telle durée de tournage, on s'attache vite aux personnages. On suit par exemple le parcours de Frédéric, un franchisé qui pilote 8 restaurants en région parisienne.

Il est sympa, Fred. Bien qu'il emploie 600 personnes, c'est un patron proche de ses salariés, il les connait presque tous : "Je ne me souviens pas de tous les prénoms mais généralement, comme je passe souvent à midi ou le matin, j'en connais beaucoup", dit-il.

Frédéric est évidemment quelqu'un de très occupé. Mais "même avec huit établissements à gérer, pour trouver le patron, il faut souvent aller voir du côté des cuisines. Une façon pour lui de garder le contact avec le terrain." 

Pour gérer ses huit restaurants, Frédéric peut compter sur plusieurs bras droits, comme Ludovic. Ludovic ? C'est un vrai passionné. Pour lui, la restauration rapide est un jeu : "Le 12h-14h, c'est notre match de foot. Donc une fois que le coup de sifflet est lancé (sic), il faut faire un minimum de changements, il faut être organisé de façon à ce que ça se passe le mieux possible."

Pendant le match, l'équipe peut compter sur la mobilisation de son capitaine, aussi impliqué que son patron aux huit restaurants : "Le mercredi est la journée la plus chargée de la semaine, indique la voix off. Alors Ludovic épaule ses équipes sur tous les fronts". Le directeur ne rechigne pas à la tâche, il est partout : en salle, à la caisse et même dehors pour "vider les poubelles".

Quel super chef, ce Ludovic ! "Rien ne lui échappe, commente la voix off de RMC Story. Il distribue les consignes aux équipiers et managers en perte de vitesse". Oui, parce que si le directeur est exemplaire, il doit quand même travailler avec des employé·es un peu lents, sous-entend RMC. 

"Après 2h de coup de feu, les lieux se vident, constate la voix off. La pression redescend chez les employé·es, mais pas pour Ludovic, car c'est l'heure de faire les comptes." Oui, pendant que les employé·es se la coulent douce, le capitaine a toujours la pression. Score final ? "450 clients ont été servis pour un total de 6400 euros. C'est l'un des plus gros chiffres de la semaine."

Angelina et ses "loulous"

A côté de Frédéric et Ludovic, les deux stars du burger, on retrouve aussi Angelina, une "manager" de 24 ans au parcours exemplaire : "Elle a été embauchée chez le géant américain à l'âge de 18 ans. Sans diplôme, elle a consacré toute son énergie à gravir les échelons. Elle a atteint le grade de manager en seulement neuf mois." 

"Transformer le petit boulot en vocation d'une vie, c'est la force du géant américain", constate RMC Story. Et pour Angelina, l'avenir est tout tracé : "J'ai l'objectif de devenir directrice et si la vie me le permet, franchisée bien sûr, il faut avoir des rêves dans la vie."

Grâce à RMC Story, on va ainsi pouvoir admirer les qualités de cette manager hors-pair : "Bon les loulous, c'est pas mal du tout, on continue comme ça, on fait attention, le rush n'a pas vraiment commencé, donc ça peut arriver d'une minute à l'autre (...) on fait attention à son nettoyage les loulous." Les "loulous" ?C'est comme ça qu'elle appelle ses employé·es : "C'est mes loulous, ils sont à moi. C'est mes petits bébés, on les a vus évoluer aussi. Donc c'est pour ça", se justifie la manager modèle.

Et ses petits loulous, il faut les motiver pendant le service : "À l'heure du déjeuner, c'est plus de 70 voitures qui se bousculent au drive, indique la voix off. Alors, Angelina doit motiver ses troupes pour éviter les bouchons en caisse". Oui, dans ce "documentaire embedded", les managers de McDo ne mettent pas la pression sur les employé·es : il les "motivent" pour qu'ils accélèrent le mouvement. 

85 secondes pour un burger

La lenteur des employé·es un peu fainéants, c'est une réelle préoccupation des cadres exemplaires de la chaîne de fast food. Un sujet qu'ils prennent très au sérieux, comme le montre cette "réunion au sommet", filmée par RMC Story.

La principale préoccupation de Frédéric et de ses bras droits, c'est de "faire baisser les coûts à tout prix". Et pour "gagner de l'argent, sans trop augmenter les prix, il faut vendre plus", annonce la voix off. Comment ? "Trouver comment optimiser les rendements, c'est l'ADN du géant du fast food. L'enseigne a créé une toute nouvelle application pour mesurer à la seconde près la cadence des troupes."

Petite démonstration avec "cet écran qui permet de suivre en direct le temps de préparation d'une commande, des cuisines à la livraison. Aujourd'hui, Frédéric et son équipe ont fixé un objectif. Chaque client doit être servi en 85 secondes." C'est écrit sur l'appli : 

Mais ce jour-là, les employé·es sont un peu lent·es...

Face caméra, l'un des adjoints explique sobrement que "ça permet de pouvoir identifier s'il y a des zones de blocage sur certaines lignes de production, ou si c'est au niveau du service au comptoir, ou au drive".

Et quand le journaliste ose faire une remarque légèrement critique ("Cette méthode pourrait être assimilée à une surveillance permanente des employé·es"), les adjoints répondent en cœur : "Non non non non, c'est un outil qui nous permet de pouvoir regarder, quand on est en réunion, si tout se passe bien dans le restaurant, tout simplement." 

Pas de surveillance des employé·es ? Voilà qui semble suffire aux journalistes de RMC Story, qui ne creusent pas davantage.

Contrôle qualité ++

Rassurer, c'est un peu l'objectif du reportage. Au-delà des bonnes conditions de travail et de la rapidité impressionnante du service, il faut souligner la qualité des produits.

RMC Story a eu accès à de nombreux fournisseurs. Frites, pains, steak, tout est hyper contrôlé. Dans l'usine de fabrication de "la Formule 1 de la viande", on vérifie la qualité des produits en les mesurant très régulièrement…

Même souci de la qualité pour les frites qui sont régulièrement inspectées pour qu'il n'y ait aucun défaut…

Et le pain ? Vous saurez tout de sa fabrication et de son contrôle qualité.

C'est aussi ça la magie du journalisme "embedded". Quand le documentaire évoque les ingrédients utilisés par McDo, c'est toujours sous l'angle de la sécurité alimentaire et du contrôle qualité. RMC Story n'aborde jamais la question des apports nutritionnels, par exemple. Un sujet un peu trop gras, sans doute.

Au final, sur 1 h 20, on n'a relevé qu'une seule vraie critique : le burger au comté conçu par le département R&D n'est pas exceptionnel. C'est un YouTubeur fast food qui le dit face caméra.

"Inside McDo", c'est la caricature du documentaire réalisé par un journaliste embedded. Il n'y a aucune critique, tout est génial. Les managers sont tellement exemplaires que les employé·es n'ont rien à dire. D'ailleurs, on ne leur donne jamais la parole. Curieux, non ?

Interrogé par Le Monde, le réalisateur assure qu'il a eu quasiment une liberté totale : "Des lieux nous ont été refusés, [comme] les cuisines du McDo des Champs-Elysées, qui ont la particularité de former deux cuisines l'une à côté de l'autre. [Et] dans l'usine McCain, je n'étais pas autorisé à filmer la machine qui congèle les frites." Mais à part ça, "dans l'ensemble, je n'ai pas eu beaucoup de refus". Le réalisateur du documentaire résume : "McDonald's fait travailler des milliers de personnes et s'est intégré dans le paysage français." Et sinon, interroger l'employé·e de base ?

Ces propos du réalisateur ont été publiés dans une chronique du Monde déroutante, où ce documentaire est qualifié "d'alléchant", "passionnant presque de bout en bout". Presque, oui, car les grosses ficelles de l'embedded gâchent un peu le visionnage. Diffusé une première fois en octobre 2023 et rediffusé cette semaine, ce documentaire répond en tous points à la série de casseroles que se traîne l'enseigne depuis quelques années. 

Un set de casseroles dans la presse

Au-delà de l'image de malbouffe qui lui colle encore au Big Mac, McDonald's a connu de nombreux problèmes ces dernières années : des accusations de shrinkflation (même prix, mais moins de pain), en passant par la fraude fiscale (1,2 milliard d'amendes tout de même, qui ont été versés au fisc français en 2022). Sans oublier les critiques sur les conditions d'élevage, par exemple des poulets.

Mais c'est surtout au niveau des ressources humaines que McDo a dû gérer quelques petits soucis. En octobre 2020, Mediapart et StreetPress ont recueilli 78 témoignages de salariés "qui décrivent un environnement où la violence professionnelle est systémique.""Un quotidien souvent fait de remarques sexistes, racistes, homophobes, voire d'agressions sexuelles, écrit par exemple Mediapart. Des faits pour lesquels "l'employeur est accusé d'avoir fermé les yeux" et ce, à tous les niveaux: "des cuisines des restaurants aux hautes sphères du siège de McDonald's France, à Guyancourt". Tiens, Guyancourt, les fameux locaux filmés par RMC Story.

Deux ans après ces accusations, c'est le magazine Cash investigationqui révèle des pratiques illégales en terme de droit du travail : temps partiel imposé, plages horaires de disponibilités illégales. C'est aussi dans cette émission qu'on découvre le "management agressif" qui consiste à mettre une pression permanente sur les équipiers. On est loin de l'eldorado de Frédéric, Ludovic et Angelina.

Face à cette cascade de scandales, la firme américaine a répliqué fin 2023 en finançant de nombreux contenus sponsorisés publiés dans la presse pour vanter sa politique RH. Des sponsos notamment publiés dans le ParisienTravailler chez McDo ? "Un tremplin pour l'avenir", "Un tremplin pour construire sa carrière"etc, etc.

Le documentaire de RMC Story, diffusé pour la première fois en octobre 2023, fait partie de ce contre-feu : le franchisé est proche de ses 600 salariés, son bras-droit est un super chef d'équipe et la manager adore ses "loulous". Bref, tout s'est bien goupillé.

Et quelques mois après la première diffusion du doc' sur RMC Story, l'enseigne de fast food a récidivé dans Capital, sur M6. En février 2024, McDo a de nouveau ouvert grand les portes de ses usines de frites et de pains avec tous les superlatifs qui vont avec...

Bref, "McDonald's contre-attaque", comme l'indique le bandeau de M6. Un plan de com' millimétré, mais dont l'impact doit beaucoup au silence complaisant des journalistes télés.

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