Dubaï, la destination (trop) idéale de la télé

Sherlock Com' - - Médias traditionnels - Plateau télé - 42 commentaires

Franchement, on devrait prendre exemple sur eux. Alors qu’en France, on ne peut plus rien faire (sortir après 18h, aller au resto, au ciné), il reste un havre de paix et de bonheur dans ce monde d’après : Dubaï. Plage, boîte de nuit, resto, chameau, jet ski (et même ski tout court), on peut tout faire là-bas. TF1, France 2 et M6 l’ont bien compris. Depuis décembre, toutes les semaines ou presque, les chaînes françaises se rendent dans cette ville des Émirats arabes unis pour tourner leur marronnier en plein désert : les fêtes de Noël, le Nouvel an et même les soldes à Dubaï ! Une destination rêvée pour cette télé, qui refuse systématiquement de braquer ses caméras derrière le décor de carton-pâte. Mettez de la crème solaire, ça va taper fort.

Bouh franchement, on a un peu le cafard…

Alors que pendant ce temps, à l’opéra de Dubaï…

Avec un minimum de précautions…

On peut aller écouter un chanteur de 83 ans qui remonte sur scène...

Mais nan, c’est pas vrai…

Ah qu'elles sont jolies les filles de mon pays…

Enrico Macias à l’opéra de Dubaï. C’était dimanche 14 février dans l’émission Sept à huit (TF1). La chaîne a envoyé une équipe pour suivre le chanteur sur le retour.

Deux semaines plus tard, c’était un autre Français qui se préparait pour un concert géant. Montez le son.

David Guetta !

Une destination qui fascine la télé

Arf, Dubaï. Un "oasis doré" pour Harry Roselmack (TF1).

Une "destination de rêve (...) du soleil, une vie quasi normale, avec de la démesure, des restaurants, des attractions ouvertes", selon Nikos Aliagas (TF1).

Le "pays de la démesure" confirme Xavier De Moulins (M6).

"Un billet pour l’insouciance, pour pouvoir festoyer sans contrainte si ce n’est un petit test à l’entrée" ajoute Thomas Sotto (France 2).

Oui, depuis plusieurs mois, toutes les chaînes de télé vont à Dubaï. C’est même le 20h de France 2 qui a lancé la saison Dubaï en constatant que les avions n’étaient pas pleins…

Mais bon, on peut les comprendre ces journalistes.

On peut tout faire là-bas. Un petit tour en chameau…

Avec une petite caméra GoPro

Un petit tour en jet ski…

Avec une petite caméra GoPro...

On peut faire de la luge sur le sable…


Ou sur de la neige…

Sans oublier les activités incontournables comme la partie de golf sur le toit d’un hôtel.

De bien belles images. Alors que tout est plus ou moins fermé en France, Dubaï permet à TF1, M6 et France 2 de respecter les poncifs de saison.

Dubaï, le nouveau marronnier 

Un Noël morose en France ? Préférez plutôt Dubaï. C’est "la destination phare de Noël 2020", d’après l’émission 50 minutes inside (TF1).

"Cette année, le choix s’est vite imposé. On s’est dit, on ira là où on peut se retrouver en famille et il se trouve que c’était à Dubaï", témoigne une autre française interrogée par le 20h de France 2. 

Les remontées mécaniques sont fermées en France ? Préférez plutôt Dubaï ! "Ici, en plein Moyen-Orient, on peut skier toute l’année. 54 euros pour 2h", précise le journaliste de 50 minutes inside.

Trop fort, le ski à Dubaï ! "Marina, Daniel et leurs enfants n’ont pas pu partir dans les Alpes cet hiver, mais ils sont venus s’offrir quelques heures de montagne en plein désert" constate la voix off, envieuse. Car à Dubaï, on peut "retrouver les plaisirs simples d’un dîner au restaurant." Un plaisir simple comme une raclette à Dubaï.

Et que dire des soldes ! Chaque année, l’émission 66 minutes couvre les soldes d’hiver. Sauf que dans la France de 2021, avec un couvre-feu à 18h, c'est moins la folie. Pas grave, direction Dubaï ! La ville organise "l’incroyable festival des soldes"

Un sujet de 43 minutes diffusé dimanche 31 janvier. 43 minutes de soldes à Dubaï ! Pour tenir sur la durée, M6 a enquêté en profondeur. Par exemple, on va suivre le shopping de Soraya, vêtement par vêtement.

Noël, sports d’hiver, jour de l’An, soldes : Dubaï est devenu le marronnier de substitution des télés. Mais il y a en d’autres ! 

L'eldorado pour expatriés

Vous vous rappelez notre chronique sur les expat' de M6 ? Des sujets très formatés, cumulant voitures de luxe, belles maisons et des success stories d'expatriés français. On s’était baladé en Australie, aux États-Unis et en Afrique du Sud.  Avec le Covid-19, c’est plus compliqué de tourner de nouveaux marronniers expat' dans ces pays. 

Heureusement pour les télés, il leur reste donc le joker Dubaï. Toutes les chaînes ont suivi au moins un expatrié qui a réussi.

Il y a par exemple les influenceuses, qui se sont fondues dans "un décor très instagrammable". On les reconnaît facilement avec leur portable en mode selfie. 

Et il y a aussi les restaurateurs français qui cartonnent...

Des restaurateurs qu'on suit en cuisine, sans toutefois rater ce qui se passe en salle grâce... mais oui, encore et toujours notre bonne vieille GoPro...

Tout ce petit monde vit une vraie success story car la ville les accueille à bras ouverts : "Ils font tout pour pousser l’entreprenariat à Dubaï", "Ici, on est bien, on a plus de liberté, on peut faire un peu ce qu’on veut".

Et quand on dit à bras ouvert, ça inclut évidemment la fiscalité : "Ici, pas d'impôt sur le revenu, ni sur la fortune", explique la voix off de Sept à huit. Ce que confirme Tanina, l’une des influenceuses à selfie : "Avec 0% d’impôt, je crois que y a pas d’autre argument et je vous jure que y a vraiment pas de piège, c’est vraiment 0% d’impôt".

Bon, y a juste un petit hic : "Ici, ils te licencient du jour au lendemain (...) Quand t’as plus de travail, t’as un mois pour retrouver, sinon, tu dois partir", témoigne une expatriée dans 66 minutes. Mais la voix off de M6 relativise aussitôt : "Pas d’aide mais un cadre de vie de carte postale. Piscine chauffée, soleil et cocktails entre amis sont devenus leur quotidien".

Car il ne faudrait pas casser l’image idyllique de Dubaï. Surtout que cette ville fascine aussi les télés par sa bonne gestion de la crise du Covid.

Le contre-modèle français dans la gestion du covid

Dans tous les reportages, quel que soit l’angle choisi, on érige Dubaï comme le contre-modèle de Paris. "Ici, la vie est redevenue presque normale, l’émirat est l’une de seules destinations à avoir ouvert ses frontières aux visiteurs du monde entier. (...) Sur le sable, ils ont pu faire tomber les masques et les chaussures", s’étonne France 2.

"C’est une vie où on peut sortir librement, se retrouver en famille, partager des moments de fête, sans avoir l’angoisse de savoir à quelle heure rentrer, si on s’est bien lavé les mains", renchérit une Française interrogée par la chaîne du service public.  Chouette, la fête ! "À Dubaï, ni les DJ, ni les barmen ne sont au chômage partiel, confirme M6. Ici, les nuits ne connaissent pas le Covid." 

Et sur M6 ou France 2, quand on veut illustrer la fête, c'est forcément en filmant une femme en contre-plongée.

Ça change de la morosité dans l'hexagone.  

Quant au succès des restaurateurs français, c'est forcément plus simple quand les établissements restent ouverts, contrairement à la France. C'est ce que nous explique l’agente des influenceuses, Magali Berdah, interrogée par TF1 : "La vérité, ça me fait de la peine pour les restaurateurs français. En fait, quand je vois comment Dubaï a réussi à gérer cette crise sanitaire sans que les emplois soient stoppés, sans que les gens soient au chômage. Alors je sais que c’est compliqué, c’est facile à dire, mais je vois qu’ici, c’est possible. Donc je me dis pourquoi chez nous, c’est pas possible en fait ?"

Dubaï, nettement mieux que Paris ? Il y a bien une limite à ce paysage de carte postale. Dans l’émission Sept à huit, l’un des restaurateurs reconnaît qu’il faut réussir économiquement et faire profil bas à Dubaï, sinon, c’est le retour en France assuré. "Tu te fais virer si tu te conduis mal (...) Il y a des gens qui vont peut-être trouver ça dictatorial mais moi, je trouve que c’est une bonne façon de gérer un melting-pot culturel".

Dictatorial, Dubaï ? Déclenchez votre dictaphone, la voix off de TF1 va lâcher les deux uniques phrases un peu critiques du reportage. Concentrez-vous, c’est très court : "Selon Amnesty international, critiquer le gouvernement aux Émirats arabes unis peut vous amener en prison. Alors ici, on évite de parler politique"C’est tout, fini, on refait un tour de chameau ?

L'autre Dubaï

Comment expliquer cette fascination constante de TF1, France 2 et M6 pour Dubaï ? On a beau chercher, on a du mal à comprendre. Si ce n’est que les chaînes de télé ont trouvé, dans cette destination, un véritable plateau télé grandeur nature épargné par les restrictions liées au Covid. Enfin, épargné à condition de bien orienter ses caméras. Car si on regarde l’envers de ce décor de carton-pâte, comme l’a fait Arte en août 2020, Dubaï n’est bien évidemment pas épargné par les conséquences économiques liées à la pandémie. Les travailleurs immigrés ont été priés de quitter la ville et de rentrer chez eux. "Licenciés sans aucune indemnité dès l’apparition du Covid-19, bien souvent sans avoir reçu leurs derniers salaires et parfois avec leurs passeports retenus par leurs employeurs, ils ne peuvent rentrer chez eux, faute d’avions ou, quand il y en a, faute d’argent pour s’acheter des billets dont les prix ont plus que doublé." Pour survivre, les "vendeurs à la sauvette se sont multipliés" dans la ville de Dubaï.

Heureusement, quand on regarde Sept à huit, 66 minutes, 50 minutes inside, Enquête exclusive et les sujets festifs du 20h de France 2, on ne voit pas ces images. On est là pour se détendre. 

Et la fiesta est loin d’être finie. Car savez-vous quel devait être le thème du Zone interdite (M6) de ce dimanche 21 février ? Dubaï évidemment ! Avec, d’après la bande-annonce, toutes les belles images que vous connaissez…

Un programme que M6 vient de "décaler" à une date ultérieure. Dommage, car la chaîne avait un scoop : comme TF1 la semaine dernière, l'équipe de Zone interdite avait filmé le retour de...

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