Coup de foudre à la rédac : les journalistes dans les téléfilms de Noël

Sherlock Com' - - Médias traditionnels - Plateau télé - 30 commentaires

On sait très bien ce que vous recherchez ici : un peu d'amour et retrouver foi dans la magie de Noël. Alors, on va exaucer votre vœu. Dans les téléfilms de Noël diffusés à un rythme industriel par TF1, W9, 6TER et cie, il n'est pas rare de croiser des journalistes. Jenna croit encore au Père Noël, moins en l'Amour. Mark ne croit en rien, mais avec son sourire ravageur, il fait parler n'importe quelle source. Quant à Maddie, spécialiste des affaires de corruption en temps normal, elle cherche une histoire d'amour qui "apporte de la joie" aux lecteurs pour la couv' du 25 décembre. Vous ne rêvez pas : pour ces fêtes de fin d'année, on va vous raconter les belles histoires de ces journalistes qui vivent dans les téléfilms de Noël.

Jenna et Kevin sont deux journalistes que tout oppose. Elle, plutôt stricte et première de la classe (lunettes, stylo, bien droite sur sa chaise). Lui est un brin bordélique (toujours en retard, avec un bout de sandwich à la bouche).

Tous deux travaillent pour Epihany, un "webmagazine" sur le voyage. Chacun a son style : les textes de Jenna sont plein de "douceur", "de chaleur", "avec un axe historique" (c'est une femme), lui écrit avec "audace, franchise et culot" (un vrai bonhomme). Tout les oppose, mais ils vont devoir faire équipe. Ce qui ne les enchante guère.

Sujet du jour ? "Nos lecteurs demandent à ce qu'on les emmène dans une belle histoire qui transmette l'esprit de Noël, explique Kathleen, la rédactrice en chef. Ils veulent des témoignages d'espoir, de belles histoires de rédemption. Ils veulent qu'on leur prouve que la magie de Noël existe encore."

Une vraie pro cette Kathleen, bien qu'ayant un management un peu toxique : "Il est très important que nous nous mettions tous à l'affût de récits qui parlent au cœur des gens, nos emplois en dépendent. On vit une période très difficile pour le journalisme (...) Celui d'entre vous dont la page aura généré le plus de clics sur le site sera mon plus précieux rédacteur voyage." Quant aux autres, vous devinez la suite.

Pour nos reporters en sursis, rien ne va se passer comme prévu. En voyage pour Aspen, ils se retrouvent bloqués à l'aéroport à cause d'un blizzard. Dans leur malheur, ils ont quand même la chance de croiser Chris et Carole, un couple d'aubergiste qui veut bien les héberger le temps que la tempête se calme.

Au premier abord, l'auberge est assez classique. Quinze sapins, 133 couronnes, des milliers de boules, on est bien dans une auberge de téléfilm de Noël.

Mais le lendemain, au petit déjeuner, Jenna a un doute quand elle voit l'aubergiste.

Les indices sont assez minces. Le garage de Chris est par exemple assez classique.

Tous les matins, Chris reçoit un sac d'une centaine de lettres (comme tous les aubergistes qui prennent soin de leurs clients).

Bref, tout ça est quand même louche. Dans le doute, Jenna va potasser l'histoire de Sant Claus.

Une enquête palpitante qui va rapprocher nos deux reporters en sursis. Comme ils peuvent difficilement écrire que Chris est bien celui que vous croyez (mais chuuuttt, c'est un secret, il faut préserver la magie de Noël), ils vont se contenter d'écrire sur l'histoire de cette auberge, menacée de démolition. "C'est exactement le genre de récit dont nos lecteurs ont besoin, de quoi leur redonner espoir et foi en la magie de Noël. C'est l'article rêvé", s'enthousiasme Jenna. Qui espère aussi ne pas perdre son emploi.

L'histoire se termine comme un conte de Noël : Jenna et Kevin finissent ensemble, après une scène de drague typique des journalistes ("Tu sais que t'as une plume incroyable ?" - "C'est vrai ? Tu trouves ?"), ils deviennent co-rédacteurs en chef du webmagazine car leur article a cartonné ("Ça buzze sur internet de partout"). Et ils finissent par se marier devant… oh oh oh !

Carton d'audience

Un téléfilm de Noël, c'est sucré, c'est doux, c'est rassurant, il n'y a pas de mauvaise surprise, tu sais ce que tu regardes. 

Il y a quatre ans, on s'était déjà penché sur ce genre télévisuel. De fin octobre à fin décembre, à raison de deux téléfilms par jour et par chaîne, ces téléfilms de Noël inondent vos écrans. Pour TF1, chaque diffusion est la garantie d'attirer près d'un million de téléspectateurs, le matin ou l'après-midi. Un carton d'audience pour des téléfilms en carton-pâte tournés en seulement trois semaines avec un budget réduit.

Parmi la centaine de téléfilms diffusés ces derniers mois, une petite dizaine met en scène des journalistes. Il y a de tout : des animatrices de talk-show ("Le plus beau char de Noël", W9), une présentatrice de matinale ("Noël à la télévision", 6TER), des journalistes culinaires ("Délicieux Noël", TEVA), des reporters de terrain ("Une famille pour Noël", 6TER), une future présentatrice du JT du week-end ("Coup de foudre pour le fils du père Noël", TF1) ou encore une pigiste ("Père Noël incognito", TMC).

Si le travail de ces journalistes n'est pas toujours au cœur de l'intrigue (tous sont là avant tout pour trouver l'amour en retournant dans leur village natal, ou en faisant leur marché de Noël), on peut tout de même esquisser les contours du métier de journaliste-amoureux, à travers ces téléfilms de Noël.

Raconter des histoires d'amour pour le 25 décembre

Un journaliste dans un téléfilm de Noël, c'est d'abord quelqu'un qui est là pour "raconter une belle histoire". Et celle-ci doit souvent être trouvée dans l'urgence pour faire la couv' de l'édition de Noël, si importante pour une presse en difficulté financière...

"J'ai une mauvaise nouvelle, annonce par exemple la rédactrice en chef du Denver Post. Le sujet qui devait faire la une de notre édition spéciale de Noël est tombé à l'eau. Donc il nous en faut un nouveau, et vite. Quelqu'un a une idée ?"

Kimberley a bien une idée, mais… "Si on parlait de la soupe populaire de nos jours ?"

La réaction de la rédactrice en chef est immédiate : "On ne veut pas se limiter à l'économie qui va mal, on veut de l'humain. Ce qu'on veut lire, c'est l'histoire de cette femme qui démissionne, qui repart vivre dans sa ville natale, tombe sur son ancien amoureux du lycée qui est bénévole à la soupe populaire et décide de s'en occuper avec lui. C'est cette histoire là que je veux."  Un beau résumé de la ligne éditoriale de tous les médias américains représentés dans ces téléfilms. 

C'est finalement Léa, la correctrice de journal qui a toujours rêvé de devenir journaliste, qui va proposer le bon sujet : "Quel est le vrai objectif de Noël, si ce n'est de rassembler les gens ?".

Elle propose de se rendre en France pour comprendre comment un peintre est tombé amoureux sur un marché de Noël. La rédactrice en chef adore l'idée : "Du mystère et de l'amour. Sous un sapin. Je suis fan. On ne veut surtout pas d'une histoire tragique pour Noël." Bingo !  

Dans "Maman Noël cherche l'amour" (TEVA), le journaliste Chet Walters espère lui aussi une promotion (par principe, le journaliste de ces téléfilms est ambitieux et cherche un poste plus prestigieux). Pour se faire remarquer, il doit trouver la bonne histoire, "faire d'une petite histoire locale, un scoop national".

Bien évidemment, on ne parle pas d'une affaire de détournement de fonds, mais bien d'une belle histoire de Noël. Et il y a en une qui monte sur les réseaux sociaux avec le hashtag #MamanNoël : une enfant vient d'envoyer une lettre au Père Noël afin qu'il trouve "un amoureux à sa maman" (Clara). Trop mignon. "A coup sûr, ce sera au JT ce soir", remarque Chet. Au JT ce soir ? Il le tient son scoop national ! "L'Amérique a hâte de rencontrer Maman Noël".

Pendant tout le téléfilm, Chet va traquer Clara pour qu'elle raconte son histoire à l'antenne. Mi-journaliste, mi-producteur de téléréalité, Chet va finir par lui organiser des rencontres (diffusées à la télévision évidemment) afin d'aider Maman Noël à trouver l'amour (mais il ne sait pas encore que l'amour en question, c'est lui même, oh oh oh ! encore la magie de Noël).

Priorité à L'amour (et pas aux affaires de corruption)

Cette passion pour les belles histoires d'amour à Noël fait faire n'importe quoi aux journalistes. Dans "Embarquement pour Noël" (TF1), on découvre le quotidien de la Gazette de Norfolk. Une rédaction assez classique pendant les fêtes de Noël. Avec un sapin tous les 50 cm dans les couloirs et des guirlandes sur les écrans.

Elles, ce sont Maddie et Sarah, deux collègues de travail. L'une est spécialisée dans les affaires de corruption, et l'autre, dans les sujets "feel good". Elles papotent tranquillement quand soudain, le rédacteur en chef les interrompt car il a du lourd pour Maddie : "J'ai reçu un tuyau d'un ami qui travaille au bureau du procureur. Le directeur de la banque de Norfolk a été mis en accusation pour fraude ce matin (...) C'est l'occasion de briller, décroche-moi l'exclusivité." Sauf que Maddie en a marre des enquêtes à la Mediapart. Contre toute attente, elle annonce à sa collègue Sarah qu'elle préfère les histoires d'amour. 

S'ensuit un dialogue ubuesque : "Tu te rends compte, c'est une chance énorme!", s'enthousiasme Sarah. "Oui, sauf que ce sera bientôt Noël, tu comprends, déplore Maddie. Qui a envie de lire des histoires de corruption et de banquiers qui se comportent mal ?" Bah oui, c'est vrai ça, qui ? Elle ne se rend pas compte Sarah de l'importance des sujets avec des fleufleurs : "Les gens ont de la chance, tu leur apportes de la joie alors que moi je leur rappelle les dures réalités de l'existence", se lamente la journaliste d'investigation en plein burn-out.

Une scène invraisemblable qui inverse l'échelle des valeurs du journalisme. La plupart des journalistes qui ne vivent pas dans des téléfilms de Noël rêvent plutôt d'une carrière dans l'investigation, l'enquête au long cours. Mais vous l'aurez compris, dans ces téléfilms, c'est bien le journalisme feel good qui est plébiscité. Ici, la presse n'est pas un contre-pouvoir, c'est le pouvoir, celui de faire rêver le lecteur.

Avec un seul objectif : l'audience. Kevin et Jenna sauvent leur poste et deviennent même co-rédacteurs en chefs parce que leur article a buzzé sur internet. Chet poursuit Maman Noël car son histoire cartonne sur les réseaux sociaux, au JT et que lui cherche à se faire remarquer pour obtenir sa promotion. Tous ces journalistes de téléfilm courent après l'audience, dans une logique carriériste. Et l'audience, c'est forcément une histoire d'amour, surtout pas de sujet qui fâche car le lecteur a besoin de magie et de rêve. Curieuse conception du journalisme.

Un seul fait exception : Mark, dans "Coup de foudre au marché de Noël" Quand sa rédactrice en chef lui annonce qu'il va se rendre en France pour raconter l'histoire d'amour d'un peintre, il résiste: "Vous me collez dans les pattes une mièvrerie de Noël ? J'ai bossé dans des camps de réfugiés, je suis allé dans des coins où les autres reporters refusaient de se rendre. J'ai des compétences qui pourraient être mieux utilisées."

Mais c'est une résistance de courte durée. Il va quand même partir en France avec Léa et se prendre au jeu petit à petit. Jusqu'à co-écrire le fameux article sur le peintre, dont on vous livre la conclusion : "L'amour n'est pas seulement un conte de fées ou un rêve qu'on fabrique dans sa tête, ça peut l'être bien sûr. Mais le vrai secret d'un amour authentique, c'est la magie du réel." Certes, ça ne veut rien dire, mais tous les mots clés du bon journaliste de Noël sont là: amour, rêve, magie et conte de fée. Passez de bonnes fêtes cher.e.s abonné.e.s.

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