Arrêt maladie et report des congés : vent de panique à la télé

Sherlock Com' - - Médias traditionnels - Plateau télé - 59 commentaires

Bonne nouvelle pour les fainéants : ils pourront désormais repartir en vacances s'ils ont eu un "accident de pétanque" pendant leur congé. C'est en substance ce qu'ont expliqué les journalistes et éditorialistes télé cette semaine. Pour mettre le droit français en conformité avec le droit européen, la Cour de cassation a jugé qu'un salarié avait désormais le droit de reporter ses vacances s'il tombait malade pendant ses congés, à condition d'avoir un arrêt prescrit par un médecin et de le notifier à son employeur. Un nouvel acquis social qui a fait fondre les plombs des journalistes et éditorialistes de RMC, CNews et consorts.

Fallait voir leur tête. C'est sans doute à ça qu'on peut mesurer l'importance d'un nouveau droit pour les salariés.

Mais qu'est-ce qui a bien pu se passer pour mettre dans cet état les journalistes et éditorialistes Louis De Raguenel (CNews) Ruth Elkrief (LCI), Estelle Denis (RMC) et Pascal Perri (LCI) ? Dans un communiqué publié le 10 septembre, la Cour de cassation assure qu'un "salarié placé en arrêt maladie pendant un congé payé" a "le droit de voir son congé reporté".  Diantre ! Les woke ont-ils pris le pouvoir à la Cour de cassation ? Pas vraiment : cet arrêté permet simplement de mettre le droit français en conformité avec le droit européen. Car figurez-vous que la directive européenne à l'origine de cette décision date de 2003 et qu'elle est appliquée dans de nombreux  pays (notamment l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne ou encore l'Italie). Il aura donc fallu un peu plus de vingt ans pour que la France s'y conforme.

Et sur le papier, les arguments juridiques pour justifier cette décision sont assez limpides (on vous les résume, si ce sujet arrive sur la table pendant un déjeuner familial). La Cour de cassation rappelle que dans l'UE, deux droits coexistent pour les salariés : il y a les congés payés dont l'objectif est "de permettre aux salariés non seulement de se reposer, mais aussi de profiter d'une période de détente et de loisirs" et il y a les congés maladie, dont l'objectif "est de permettre aux salariés de se rétablir d'un problème de santé"Ces "deux droits n'ont donc pas la même finalité", constate la Cour. Conclusion : "Puisque la maladie l'empêche de se reposer, le salarié placé en arrêt pendant ses congés payés a droit à ce qu'ils soient reportés. Il faut toutefois que l'arrêt maladie soit notifié par le salarié à son employeur".

Pour les éditorialistes, "c'est une dinguerie"

Un nouveau droit pour les salariés français en 2025, grâce à l'Union européenne, pour améliorer leur bien-être ? Ce n'est pas souvent, ça se fête. Et de préférence avec du popcorn, en regardant le désarroi des journalistes et des éditorialistes télé. Car cette nouvelle les a littéralement paniqués. "J'avoue que celle-là (...), je ne m'y attendais pas. C'est hallucinant", a réagi Laurence Ferrari sur CNews. "Continuons, fonçons dans le mur", enrage De Raguenel. "C'est vraiment la culture du non-travail, la culture de l'excuse", enchaîne un autre. Le plateau de CNews est sidéré.

Même sidération sur LCI : "Je trouve ça personnellement scandaleux", déclare Eric Brunet, furieux. Dans un pays où la dépense publique frôle les records mondiaux, où le déficit de la sécurité sociale est abyssal, dans un pays où chaque réforme des retraites déclenche un psychodrame national, voilà encore une décision qui alourdit la barque encore un peu plus. (...) En décidant ainsi, la justice n'a pas seulement offert quelques jours de repos supplémentaires à certains salariés, elle a fait plus que ça, elle a validé une logique dangereuse, celle d'un pays qui considère finalement que le travail est en train de devenir optionnel".

Pour Isabelle Saporta, "c'est une dinguerie, c'est une folie". "Est-ce que l'Etat doit s'occuper de ça à ce point-là ? Est-ce que l'Etat est un doudou ? Est-ce que c'est à l'Etat de prendre la main des gens à ce point-là ?"

De la gastro imaginaire à "l'accident de pétanque"

Tout ça, ça les rend dingue les éditorialistes. Car c'est bien connu, les salariés français vont en abuser en se mettant en arrêt pour n'importe quel prétexte.

Pour Estelle Denis par exemple, il suffit de s'inventer une gastro : "Concrètement, vous avez une gastro le 10 août, vraie ou fausse, le médecin vous donne trois jours d'arrêt. Et ces trois jours, vous pouvez les poser après quand vous voulez."

Ça marche pour la gastro, mais ça marche aussi pour un rhume. Laurent Fontaine (W9) vous explique la marche à suivre : "T'es en Bretagne sous la tente. Tu passes quinze jours, t'as un petit rhume, tu vas voir le médecin du coin, tu te fais arrêter une semaine et en réalité, tu peux rester une semaine de vacances en plus".

Si vous êtes sportif, vous avez aussi la possibilité de prolonger vos vacances : "Tu fais du jet-ski, tu te retournes un ongle, allez hop-là" (Daniel Riolo, expert sport et manucure), "Quelqu'un qui part au ski, qui se pète une jambe parce qu'il fait n'importe quoi sur les pistes (...) il va pouvoir prolonger ses vacances" (Olivier Truchot). 

"Gastro", "rhume", "jet ski", "ski", c'est fou toutes les excuses pour ne pas retourner travailler. Mais c'est pas tout. Sur LCI, par souci de pédagogie, David Pujadas a confié à la journaliste Justine Frayssinet le soin de lister toutes les options possibles, image à l'appui. "Par exemple, vous prenez le TGV direction la côte d'Azur, explique la journaliste, la clim' est trop forte… du coup, angine."

Autre possibilité, évoquée par Pascal Perri : "L'accident de pétanque au mois d’août". Figurez-vous que ça "vous donne droit au congé éternel". Comment ça ? En plateau, la journaliste décrit la procédure : "Une partie de pétanque à Saint-Tropez, la boule vous glisse des mains, vous vous cassez l'orteil". Et bim !

Et ne venez pas dire à Pascal Perri que certains vacanciers peuvent vraiment se blesser ou vraiment tomber malade : "Vous avez déjà mis les pieds aux urgences, au mois de juillet ou au mois d'août ? Ce sont des accidents de tondeuse, c'est des brûlures au barbecue. Enfin franchement, si c'est aux boites en France de payer ça, il vaut mieux être entrepreneur ailleurs."

Bref, de vrais chochottes les salariés de 2025. Tout l'inverse des éditorialistes qui acceptent de perdre leurs vacances : "Moi, il y a une période de ma vie où à chaque fois que j'arrivais en vacances, je tombais malade, a par exemple expliqué Ruth Elkrief. C'est comme ça, je me disais « pas de bol »". Même fatalisme de Jean Quatremer sur LCI : "Pendant toute une période de ma vie, dès que j'étais en vacances, le lendemain, j'avais 40 de fièvre. Bon bah tant pis, c'est pour ma pomme, c'est comme ça." Bah oui, ça a toujours été comme ça, pourquoi ça changerait ?

Avec la décision de la Cour de cassation, on pourrait se réjouir pour le salarié, mais en fait, non. Elkrief s'alarme que la "somatisation soit prise en charge par la Sécu", elle s'interroge "sur cette prise en charge permanente et le refus des aléas de la vie". Tout en expliquant que ça se passe bien dans les pays européens qui ont appliqué cette directive, Quatremer s'inquiète du manque de contrôle des fraudeurs en France :  "Ce n'est pas normal que [le coût des arrêts maladie] soit passé de 7 à 17 milliards en huit ans. Ça veut dire que plus personne ne contrôle les médecins qui accordent largement ces arrêts maladie (...) c'est toute la sécurité sociale qui dysfonctionne".

La fraude est si facile pour Brunet : "C'est tellement simple aujourd'hui de dire « Cher docteur, je ne vais pas bien »". Vous vous imaginez les maladies psychologiques ? Ça veut dire qu'on peut aussi avoir un arrêt maladie parce qu'on a fait une petite dépression pendant l'été."

À qui la faute ? Aux fraudeurs évidemment, mais aussi aux médecins. Un éditorialiste de RMC, Mourad Boudjellal, a d'ailleurs une solution : "Ce sont les médecins de la médecine du travail qu'il faut mettre en garde à vue. C'est une honte. Tous les médecins de la médecine du travail devraient être en prison. Les mecs coûtent un bras à la caisse commune."

Et ce coût, sur qui ça va retomber ? Les entreprises bien sûr ! "C'est parfaitement scandaleux, on croirait que c'est un gag", s'emporte Emmanuel de Villiers sur RMC. Comment voulez-vous qu'on s'en sorte avec les charges françaises ? Ces gens de la Cour de cassation, on devrait les virer". Un autre surenchérit : "C'est, une fois de plus, tout faire reposer sur l'entreprise parce que tout le monde le sait, dans ce pays, les entrepreneurs sont des gros salauds qui profitent des salariés."  Des propos tenus avec des images d'illustration de vacanciers.

Dans ce monde merveilleux des éditorialistes télé, réfléchir sur les raisons des hausses des arrêts maladie est inenvisageable. Traquer les fraudeurs (comme sur M6), c'est bien plus commode que de s'interroger sur la hausse des arrêts maladie en partie liée à l'augmentation des "troubles psychologiques", des "problèmes psy" comme le "burn-out" ou de la "dépression post-Covid"C'est aussi trop demander aux éditorialistes de préciser que la hausse du coût des arrêts maladie est liée, pour 60%, au vieillissement de la population (on compte davantage d'arrêts chez les plus de 50 ans) et à la hausse des salaires (entraînant une hausse du coût des indemnités).

A la télévision, le salarié est un fainéant et un fraudeur, à la différence du patron qui ne compte pas ses heures et croule sous les charges. Et gare à ceux qui iraient à contre-courant et expliqueraient que cette décision de la Cour de cassation est un "acquis social extraordinaire". Une phrase prononcée par… Gilles Verdez sur W9 dans la nouvelle émission de Hanouna.

Oh bah oui, quitte à regarder Elkrief, Estelle Denis, Truchot et cie, autant finir par Hanouna.

L'avantage de cette "émission de divertissement" si politisée, c'est qu'elle offre un condensé de toutes les autres émissions de débat. En moins de cinq minutes, après la phrase de Verdez sur cet "acquis social extraordinaire", tous les autres chroniqueurs lui sont tombés dessus avec les mêmes arguments entendus sur RMC ou CNews : "Heureusement que tu n'es pas chef d'entreprise", "Les patrons des petites PME, ils vont en crever de ça", "Les entreprises sont déjà assez dans la merde comme ça pour en plus leur faire ça", "T'es un salarié qui pose son cul et qui n'a jamais jamais jamais dirigé une société". Bref, comme le dit Hanouna : "Mon Gilou, tu sais que je t'adore, mais tu tires la France vers le bas."

Le pire, c'est que le "public" pense comme la majorité des éditorialistes télé : 64% des téléspectateurs de Hanouna sont "choqués" par la décision de la Cour de cassation.

Des chiffres qu'on retrouve dans les autres émissions : 

Oui, c'est le propre de ces émissions : à force de répéter en boucle que cette décision de la Cour de cassation est une catastrophe, les téléspectateurs eux-mêmes ont fini par le croire. Mission accomplie.

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