RSA, arrêts de travail : M6 traque (encore) les fraudeurs

Sherlock Com' - - Plateau télé - 24 commentaires

Ils ont recommencé. Dimanche 19 novembre, Julien Courbet et son équipe ont traqué les fraudeurs à la Sécurité sociale. Une habitude chez M6. Les journalistes de "Capital" ont notamment suivi un contrôleur de la CAF (le même qu'en 2013) et un médecin qui traque les faux arrêts maladie (le même qu'en 2022). Un marronnier qui fonctionne toujours : M6 était la 2e chaîne la plus regardée ce soir-là, avec 2,5 millions de téléspectateur·ices. En même temps, ils avaient mis le paquet: "Ce que notre journaliste a découvert dans l'enquête qui va suivre est tout simplement sidérant", a annoncé Julien Courbet dans son lancement. Oui, sidérant, c'est le bon adjectif pour qualifier ce reportage.

Pascal et Delphine sont agents de la CAF. Au quotidien, ils vérifient si Sylvie a le droit de toucher le RSA ou si Christophe n'a pas caché des revenus pour continuer à toucher les allocs.

Sur le papier, ce n'est pas le métier le plus excitant.

Pas le job le plus excitant du monde, non. Et pourtant, avec une palette graphique et trois caméras, M6 va transformer leur vie ordinaire en aventure palpitante.

Générique !

Sur le terrain, ils contrôlent sans relâche…

Direction la banlieue de Rouen. M6 va suivre leur trajet avec un drone et une caméra embarquée sur le toit de leur voiture (il fallait au moins ça). 

Avec la voix off de M6, le quotidien d'un agent de la CAF prend une autre dimension : "Débusquer des resquilleurs, c'est à chaque fois un vrai jeu de piste". Pascal et Delphine ? Ils forment "une équipe de choc", des "enquêteurs hors pairs". M6 va même les qualifier de "contrôleurs d'élite" car ils appartiennent à "une unité spéciale". Le MI6 ? Non, c'est la SNFLE. La quoi ?

La  SLNFE, c'est "le service anti-fraude le plus efficace de France", sobrement surnommé par M6 "les Brigades du tigre de la CAF". Rien que ça.

La croisade de M6 contre les fraudeurs du RSA

Rarement un sujet de M6 aura été aussi caricatural, à la fois visuellement et dans les mots choisis par la voix off. Car au-delà de la fascination de M6 pour ces agents de la CAF relookés en James Bond de la Sécu, le journaliste qui a enquêté voit des fraudeurs partout : "Que ce soit le RSA, la prime pour l'emploi, ou encore les allocations familiales : toutes ces aides sont en permanence l'objet d'escroquerie". Oui, "en permanence", faudrait limite toutes les supprimer. Car rendez-vous compte, la fraude s'élève à "6 milliards d'euros par an". "C'est le jackpot insensé détourné par les fraudeurs aux prestations sociales", s'indigne le journaliste de M6, aussi remonté que Julien Courbet : "Chaque année, les fraudeurs siphonnent entre 6 et 8 milliards d'euros dans les caisses de la Sécurité sociale", dénonce l'animateur-chauffeur de salle, en précisant que "ce que le journaliste a découvert dans l'enquête qui va suivre est tout simplement sidérant".

Des propos effrayants appuyés par le talent des ophtalmo-infographistes de la chaîne. Dans Capital, les chiffres et les problèmes sont écrits en très gros : "faux documents", "faux contrats de travail", "faux bulletins de salaires". Tout ça pour des fraudes au "RSA", aux "APL", à la "prime pour l'emploi".

Le tout, pour un manque à gagner de près de 6 milliards d'euros, soit 16,5 millions d'euros par jour.

On n'imagine même pas la taille de la police de caractère quand Capital s'attaquera aux chiffres de la fraude fiscale (estimée entre 80 et 100 milliards d'euros)

Certes, l'émission Capital n'oublie pas les professionnels de santé parmi les fraudeurs, en évoquant les fausses factures d'une infirmière libérale et celles d'un cabinet dentaire, mais ce sont surtout les particuliers qui sont ciblés (alors que 80% de la fraude à l'assurance maladie est liée aux professionnels de santé).

Mais comment reconnaît-on un fraudeur de la CAF ou du RSA ? Sur internet, c'est facile : il a une capuche de hacker et adore les têtes de mort.

Dans ce numéro de M6, quand le méchant n'a pas de capuche, il parle roumain. Oui, figurez-vous que lorsqu'on a suivi Pascal et Delphine, ils se rendaient en fait chez un bénéficiaire du RSA un peu suspect qui vit dans "un immeuble abritant une importante communauté roumaine", explique la voix off de M6. Des Roumains ? Comme c'est suspect…

Bingo ! En regardant les boîtes aux lettres, Pascal et Delphine ont repéré trois nouveaux fraudeurs. 

Traquer des fraudeurs chez les étrangers, voilà un marronnier qui fonctionne toujours à la télé.

"Arrêts maladie de complaisance", l'autre fléau 

Au cours de la même soirée, Capital a également insisté sur une autre fraude, celle aux arrêts maladies de complaisance. Illustration avec son propre journaliste, dans le rôle de celui qui s'apprête à sortir travailler…

Quel bon acteur ! Avec la voix off, cela donne ceci : "Au moment de partir travailler le matin, il y a parfois un doute ou plutôt une baisse de motivation. Or, un coup de froid, c'est comme un coup de flemme, c'est vite arrivé. Alors pour certains, la solution est simple. Dans ces cas-là, il suffirait de s'offrir un arrêt maladie, le temps de souffler, d'autant qu'il n'a jamais été aussi facile d'en obtenir un, même sans être malade."

Avec un certain sens de la mise en scène, le journaliste de M6 va donc chercher lui-même à décrocher un arrêt bidon à la suite d'une téléconsultation.

"Là, j'ai du mal à me motiver pour y aller ce matin, je me sens débordé en fait", explique d'une voix monotone le journaliste au médecin. Celui-ci délivre alors un arrêt de travail "de quelques jours" avec "un traitement pour essayer de relâcher un petit peu la pression". Bonne nouvelle ? Non, M6 considère qu'il s'agit "d'un médecin peu regardant" alors que le journaliste lui-même avait décrit des symptômes d'épuisement professionnel.

Autre méthode : l'achat d'un arrêt maladie sur internet (moyennant la somme de 30 euros). Un clic, un paiement, et y'a plus qu'à l'imprimer.

Ce faux document est-il détectable ? Pour le savoir, M6 est allée dans les locaux de Medica Europe, le leader de la lutte contre la fraude. Les entreprises ont recours à cette société pour contrôler la validité des arrêts maladie de leurs salariés. Oui, on ne la fait pas à Nathalie (la directrice) et Florence (son bras droit).

Le document obtenu pour moins de 30 euros par le journaliste de Capital ? C'est bien un faux. Après vérification, il s'avère que le nom du médecin qui figure sur le document n'existe pas.

"Insensé", comme dirait Capital. Mais alors, comment stopper ce type de fraudes ? La directrice de cette agence de contrôle a sa petite idée : "Si on arrivait à traiter aussi les arrêts de courte durée, ce serait le top et on arriverait vraiment à baisser le coût de l'absentéisme et le trou de la caisse primaire de l'Assurance maladie au niveau absentéisme." Évidemment ! C'est l'absentéisme des fraudeurs qui creuse le trou de la Sécu. Il faudrait donc renforcer les contrôles : et ça tombe bien, c'est son business.

D'ailleurs en parlant de contrôle, M6 va terminer son reportage en suivant un médecin chargé de repérer les paresseux qui ne veulent pas travailler. Le "docteur Stéphane" rend visite aux salariés en arrêt maladie pour vérifier s'ils sont bien malades.

Ce jour-là, il se rend chez un homme qui souffre du dos. Le temps d'effectuer quelques exercices de contrôle sous l'œil des caméras de M6...

Et le verdict tombe : ce salarié a bien eu raison de s'arrêter. Pas de bol pour Capital

Agent de la CAF et médecin, les bons clients de M6

La fraude à la sécu, c'est vraiment une obsession pour M6. Car voyez-vous, toutes les personnes suivies par Capital, on les a déjà vues sur M6.

Il poursuivait déjà les fraudeurs sur M6 en 2013.

Il y a 10 ans, la chaîne avait diffusé un sujet similaire à celui de cette année dans un numéro de Zone interdite intitulé "Fraudeurs, tricheurs : leurs arnaques nous coûtent des milliards".

A l'époque, la CAF n'avait pas encore créé l'agence d'élite Snffflee, mais ils avaient une nouvelle arme secrète : "un nouveau logiciel".

Et ce n'est pas le seul bon client que M6 a recyclé.

Elles avaient déjà été interrogées dans un autre Zone interdite consacré à... suspense... "la fraude à la sécu".

Et enfin, Stéphane, le médecin qui contrôle les malades qui, pas de bol, sont vraiment malades ? Eh bien devinez quoi ? Il avait déjà eu les honneurs de M6 dans le Zone interdite de l'année dernière.

A l'époque déjà, ses visites n'avaient rien donné, les arrêts de travail étaient justifiés. Vraiment pas de chance pour le docteur Stéphane : que ce soit dans Zone interdite en 2022 ou dans Capital en 2023, il ne tombe que sur de vrais malades. Logique, puisque seuls "10% des arrêts sont abusifs", finit-il par reconnaître. Mauvaise pioche pour les caméras de M6, obnubilées par les fraudeurs.

Et pourtant, aujourd'hui, la chaîne en est persuadée : les faux arrêts maladie, "c'est une des raisons qui expliquent qu'en 10 ans, le nombre d'arrêts de travail a bondi de 30% pour atteindre l'an passé un record : 8,8 millions." Vraiment ? S'il y a effectivement eu une hausse des arrêts de travail ces dernières années (30% en trois ans), ce n'est pas lié à de la fraude, n'en déplaise à M6. Selon différents instituts de prévoyance, cités par Franceinfo et La Voix du Nord, cette hausse de 30% s'explique avant tout par la hausse des "troubles psychologiques", les "problèmes psy" comme le "burn-out" ou la "dépression post-Covid". Des explications totalement ignorées par M6.

Comme le dit la voix off de Capital, "au moment de partir travailler le matin, il y a parfois un doute ou plutôt une baisse de motivation". Un syndrome sans doute constaté parmi les journalistes de la chaîne. Et on peut les comprendre, vu le résultat à l'écran.

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