Volta, arme de chienchien washing

Daniel Schneidermann - - Coups de com' - Obsessions - 86 commentaires

Un peu de douceur dans un monde de brutes : un petit chien noir se laisse gratouiller, au bas d'un escalier majestueux. De chaque côté du chiot, deux baskets blanches. Prolongeant les baskets, deux longues jambes en jeans et, penché sur l'animal, le visage attendri du post-ado qui gouverne la France, Gabriel Attal. En fond, on reconnait la façade arrière de l'hôtel Matignon. Le petit chow-chow tout mignon, tout le contraire du féroce chien de garde ou du labrador obligatoire de l'homme de pouvoir, s'appelle Volta, et c'est son nouveau propriétaire lui-même, qui raconte sur son Instagram (63 000 likes à l'instant) l'histoire de son adoption, en cette année des V.

Volta devait donc rester un merveilleux "jardin secret". Et la photo de son écran de téléphone qui "en a décidé autrement", c'est cette photo (publiée par Libération) que le Premier ministre a longuement montrée aux trois ministres extasiées qui l'entouraient au banc du gouvernement, alors que le socialiste Boris Vallaud, dans le débat sur une motion de censure, discourait sur le mal travail, les vies qui abîment les âmes et les corps. Scandaleuse indifférence, bad buzz, il fallait réagir par une offensive foudroyante de chienchien washing. C'est fait. Cherchez dans le texte les mots "coeur", "famille" et "bien-être animal" : ils y sont.


Au nom du "qui aime les bêtes aime les gens", le peuple profond des amis des bêtes est donc prié de comprendre que c'est cet engagement pour le bien-être animal, qui donnera au jeune Premier ministre l'énergie quotidienne de se battre pour envoyer sous les verrous les locataires pauvres, abolir le droit du sol à Mayotte, casser la loi SRU sur le logement social, supprimer l'allocation spécifique de solidarité, ou encore supprimer les subventions aux associations féministes non-alignées sur le soutien inconditionnel à Israël.

L'époque étant ce qu'elle est, le papa adoptif de Volta se prépare à affronter la haine. A gauche, mais aussi, on pourrait ici avoir tendance à l'oublier, à droite, comme le montre cette réaction instinctive d'Emmanuel de Villiers, ex DG du Puy du Fou, et frère de l'autre. 

Reproche anachronique. On a compris depuis Obama, et son chien d'eau portugais Bo, que la coolitude affichée du dirigeant occidental n'est nullement contradictoire avec sa défense sans états d'âme des intérêts nationaux. Reste que si ici, nous regardons virevolter Volta à travers le filtre de la préférence nationale et de la suppression du droit du sol, on le regardera ailleurs à travers les grondements de la guerre sur le sol européen, et les les menaces "décousues mais glaçantes" (Le Monde) de Trump d'abandonner à eux-mêmes ses alliées de l'OTAN, face à l'Ours russe, en cas de réélection. Chien cool des dominants, chienchien de la décadence française : bienvenue Volta dans le monde merveilleux du En même temps.

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