Tuer Villepin, mode d'emploi

Daniel Schneidermann - - Obsessions - 266 commentaires

Encore l'antisémitisme ? Encore. Tu passes un week-end tranquille. Tu te dis qu'après ta dernière Obsession, elle-même survenant à la suite de plusieurs autres, tu vas pouvoir passer à l'Obsession suivante, ou au moins t'accorder une trêve de cette obsession-là. Mais non. L'emballement, lui, ne connaît pas de trêve. Quand la machine à lancer des accusations d'antisémitisme est lancée, rien ne peut plus l'arrêter. Elle fonctionne sur son énergie propre. Dernière proie en date, Dominique de Villepin.

Faut-il défendre Villepin ? Immense soupir de lassitude. Le grandiloquent ex-ministre, homme des coups tordus de Jacques Chirac, ne m'a jamais été personnellement plus sympathique que dans l'excellente BD Quai d'Orsay. Mais il faut. Car un emballement semble tenter de tuer Villepin. Hors LFI, Dominique de Villepin est, depuis le 7 octobre, la seule personnalité politique d'envergure à oser critiquer haut et fort, sans aucune restriction, en n'hésitant pas à prononcer les mots "apartheid" et "colonisation", la politique israélienne. A la critiquer aujourd'hui, et non en attendant une hypothétique "fin de la guerre". A dire haut et fort que le gouvernement d'extrême-droite israélien constitue une  menace contre son propre pays, contre son propre peuple.

Et le voilà donc, le 23 novembre, sur le plateau de Quotidien. Toute l'affaire commence par un extrait de 24 secondes, posté sur X. 

Cette réflexion de Villepin fait suite à un reportage de l'émission sur les pressions de toutes sortes qui s'exercent sur les vedettes de Hollywood, dès lors qu'elles prennent position dans la guerre israélo-palestinienne, en faveur d'un camp ou de l'autre.

Mais peu importe le contexte, que les internautes ne connaissent pas. L'ex-Premier ministre a prononcé les termes maudits. Il a dit "domination financière sur les médias, et sur le monde de l'art, de la musique". Rien de plus. Ne me croyez pas plus naïf que je ne le suis. Je sais bien qu'un tel euphémisme peut dissimuler une diatribe antisémite. L'antisémitisme, qui est un délit, s'exprime aujourd'hui en public à demi-mot. Alors comment déceler, sous une dénonciation de la "domination financière" (licite) le sous-entendu antisémite (illégal et disqualitifant) ? 

ASI reviendra en détail dans la journée sur le déchaînement anti-Villepin. Je ne souhaite ici qu'esquisser quelques moyens de démêler l'investigation de la calomnie. Plusieurs outils sont à la disposition des candidats décrypteurs. 

Le lieu de l'énonciation, d'abord. La même phrase ne sera pas interprétable de la même manière, prononcée chez Quotidien ou imprimée dans Rivarol.  En l'occurence, ici, le plateau d'infotainment d'une chaîne dépendant du groupe TF1. Cette chaîne, ou son groupe, se sont-ils signalés par un antisémitisme ponctuel ou récurrent ? 

Deuxième indice : qui parle ? L'ancien Premier ministre de Jacques Chirac a-t-il déjà été épinglé pour dérapage antisémite ? Jacques Chirac lui-même, qui l'a nommé, était-il suspect de ce point de vue ? Non. en revanche, reviennent souvent dans le dossier d'accusation les "accointances" de Villepin avec le Qatar.  Mais de quelles "accointances" parle-t-on ? Interrogé quelques jours plus tard sur LCI (même groupe  TF1) par Darius Rochebin, Villepin, s'il admet avoir dans le passé accepté des "invitations", assure ne pas s'être rendu dans l'émirat depuis "sept ou huit ans". Ment-il ? En outre, on avait cru comprendre que l'émirat, dans le conflit actuel, constituait le médiateur le plus efficace entre Israël et le Hamas. Des "accointances" avec le Qatar sont-elles donc à compter à charge dans le procès pour antisémitisme ? En revanche, oui, Dominique de Villepin a des antécédents. De notoires antécédents, depuis 2003, dans l'observance d'une distance critique à l'égard de la politique étrangère étazunienne. S'il existait une catégorie de fichés S pour étazuno-scepticisme, il figurerait au premier rang.

Mais peu importe aux emballés. L'exercice de décryptage de l'implicite étant, en l'occurence, hasardeux, le plus simple n'est-il pas d'enrichir la citation originelle ?

Donc, enrichissons. L'ex-journaliste de l'Obs Claude Weill, dans son tweet, ajoute "occulte" à la fameuse "domination". C'est bien. Cela ne suffit pas encore. A l'heure où j'écris, BFM fait mieux : à la citation de Villepin, la chaîne, dans la bouche de son présentateur et dans son titre, ajoute tout simplement l'adjectif "juive". Et voilà comment Villepin est présumé avoir parlé de "domination juive". La cause est entendue. Au trou.



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